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La juste mesure selon les pères du désert : un chemin de tempérance

La juste mesure selon les pères du désert : un chemin de tempérance

La juste mesure selon les Pères du Désert

À l’heure où la méditation est devenue l’étendard de nombreuses approches de développement personnel, il est précieux de se replonger dans ses racines chrétiennes, en cheminant aux côtés des Pères et Mères du Désert. Dans les replis silencieux de leurs communautés, ils ont tracé les contours d’une sagesse intemporelle, emplie d’humilité et de charité. Épris d’absolu mais conscients de la fragilité humaine, ils n’ont cessé de rechercher la juste mesure, ce chemin ténu entre l’austérité stérile et la complaisance trompeuse, entre l’élan spirituel et l’orgueil déguisé. À travers leur vie retirée, nourrie de prière, de labeur et de silence, ces hommes du désert nous enseignent encore aujourd’hui l’art délicat de l’équilibre intérieur.

Dans un monde où règne l’excès sous toutes ses formes, où l’on valorise la performance plus que la profondeur, leur voix résonne avec une actualité saisissante. Elle nous invite à ajuster nos excès, y compris dans l’ascèse, à redéfinir nos repères et notre liberté, à pratiquer une sobriété heureuse

Explorons les différentes manières de pratiquer ce chemin de tempérance qu’est la juste mesure. De la lutte contre l’esprit de perfection à l’apprentissage du lâcher-prise, du respect des distances justes à l’usage éclairé de notre liberté, voyons comment laisser l’Esprit réajuster en nous ce qui s’était déséquilibré.

Observer et ajuster son comportement

La vie de ces grands ascètes peut, sur bien des points, nous apparaître comme extrême. Vivre 37 ans au sommet d’une colonne, à l’image de Simon le Stylite, n’est certes pas à la portée de tous ! Cependant, les Pères du désert n’ont pas vocation à imposer des normes strictes et universelles, mais à nous guider dans la quête de notre propre équilibre, à nous enseigner ce à quoi nous sommes appelés à vivre ici et maintenant .

 

Cette quête de la juste mesure pourrait aujourd’hui s’apparenter à ce que nous désignons par sobriété. En effet, les Pères du désert nous offrent une lumière pour redéfinir notre rapport à la consommation, au travail, aux réseaux sociaux, et au-delà, pour trouver cet équilibre essentiel à une véritable santé spirituelle.

 

L’Abbé Poemen disait : “Moi je veux que le moine mange un peu chaque jour de telle sorte qu’il n’est pas rassasié. Car des jeûnes de deux ou trois jours donnent lieu à la vaine gloire. Tout cela, en effet, les anciens l’ont examiné et ils ont trouvé qu’il était bon de manger ainsi un peu chaque jour de façon à avoir faim aussi chaque jour. Telle est la voie royale et légère qu’ils nous ont indiqué.”

 

Il convient de consacrer un temps à analyser les aspects de la vie dans lesquels on peut sombrer dans l'excès. Cela peut concerner le rapport au travail ou à une activité spécifique, le comportement alimentaire, ou encore la consommation de séries et de réseaux sociaux. Il est également pertinent de réfléchir à des attitudes plus générales, telles que le besoin de contrôle, de tranquillité, de sécurité ou même d’attention.

 

Identifier les excès

Si la juste mesure n'est pas une donnée fixe et universelle, mais plutôt un équilibre à découvrir pour chaque individu, la quête de cet équilibre soulève une question fondamentale : quand peut-on véritablement parler d’excès ? Parfois, ce sentiment devient perceptible, notamment lorsque nos limites physiques sont atteintes. Toutefois, il demeure plus difficile de déterminer ce qui constitue un excès dès qu’il s’agit de la santé de notre âme.

 

Voyons cet apophtegme d’abba Sisoès : “Abba Sisoès fut interrogé par son disciple pour savoir si, le samedi, lors d’une agape, un moine devait boire trois coupes de vin. Il répondit : “Si Satan n’est pas là, trois coupes ce n’est pas beaucoup ; mais si Satan est là, c’est-à-dire la convoitise, alors c’est beaucoup.””

 

Selon Abba Sisoès, l’excès ne se définit pas par une quantité précise, mais par l’intention qui nous guide au moment de l’action. Il est alors nécessaire de réfléchir aux différentes formes que peut revêtir Satan, autrement dit la convoitise, dans ma vie ; c'est-à-dire quand et comment elle m’incite à l’excès.

Dans l’évangile de Matthieu (9, 14-15) “Pensez-vous que les invités à un mariage pourraient pleurer pendant que le marié est avec eux ? Mais des jours viendront où le marié leur sera enlevé ; alors ils jeûneront.”, Jésus ne nous dit il pas la même chose ? Le jeûne et l’ascèse ont leur place dans un temps précis et délimité, ils ne doivent pas être pratiqués de façon permanente ou immodérée. Il en va de même pour toutes nos pratiques. 

 

Combattre l’aspiration à la perfection

Si l’excès est à craindre lorsque la convoitise s’insinue dans nos actions, une autre attitude, plus subtile, peut également engendrer des excès : le perfectionnisme. Il est certes légitime et salutaire de désirer progresser dans les divers domaines de notre existence. Toutefois, la quête de perfection peut devenir un mirage, même et peut-être même surtout, dans la vie spirituelle

À force de vouloir bien faire, ne risque-t-on pas, parfois, de dépasser ses propres limites ? Dans le désir d’accomplir consciencieusement son travail, d’être un parent attentif, de répondre à ses divers engagements, de veiller à sa santé ou même de progresser sur le plan spirituel, il peut arriver que l’on néglige d’écouter ses besoins profonds ou que l’on impose, sans s’en rendre compte, le poids de ses exigences à son entourage.

Ainsi, il est important de s’interroger : reconnaît-on le besoin légitime de repos et de détente ? Sait-on faire place à une forme de bienveillance envers soi-même, condition nécessaire pour maintenir un équilibre durable ?

Voici un bel apophtegme qui évoque la juste mesure : 

“Il y avait dans le désert un chasseur qui vit Abba Antoine en train de plaisanter avec des frères. Il s'en scandalisa. L'Ancien lui dit : "Mets une flèche à ton arc, et tends-le." Ce que fit le chasseur.  L'Ancien reprit : "Tends-le encore", et le chasseur le fit.  "Continue à le tendre", poursuivit l'Ancien. Le chasseur répliqua : "Si je le tends au-delà de la mesure, je vais le briser !" L'Ancien lui dit alors : "Il en va de même de l'œuvre du Seigneur ; si nous tendons les frères outre mesure, ils seront brisés. Il faut donc condescendre à leurs besoins."

 

Evagre le Pontique prescrit un verset de l'Ecclésiaste contre ce désir de perfection : ““Ne sois pas juste à l'excès, ni sage outre mesure. Pourquoi te détruire toi-même ?” (Ecclésiaste 7, 16)

 

Laisser faire le mouvement

La juste mesure, selon les Pères du désert, n’est pas une stabilité figée mais un équilibre vivant fondé sur une circulation harmonieuse entre accueil et transmission, réception et don. L’attitude spirituelle juste ne consiste donc pas à accumuler, même des dons spirituels, mais à se laisser traverser par eux dans une dynamique de service. Ainsi, la santé de l’âme s’éprouve dans sa capacité à devenir un canal plutôt qu’un réservoir, une ouverture au bien commun plutôt qu’un lieu de rétention. Il s’agit de laisser circuler, et finalement de lâcher prise

De même qu’il n’y a pas d'inspiration sans expiration, il n’y a pas de réceptivité sans don, d’aller sans retour. Le mouvement est perpétuel. Il s’agit de ne pas accumuler, de lutter contre l’avidité

Voici un récit qui illustre bien le propos :  “Une grande famine s’étant emparée de la ville d’Edesse, Ephrem fut pris de compassion pour les habitants qui mouraient tous.

Il alla trouver les riches propriétaires et leur dit : “ Comment n’avez-vous pas pitié de la nature humaine en train de périr, tandis que vous laissez pourrir vos richesses ?”

Ephrem géra lui-même les dons et put ainsi offrir chaque jour à tous les habitants atteints par la famine, hospitalité et assistance à partir de ce qui lui était abondamment fourni.”

Dans cette histoire, abba Ephrem reprend les choses en main afin de fluidifier la circulation des biens et défaire les blocages. 

Enfin, Jésus ne dit-il pas, dans Mt 10, 8 : “Jésus dit : “Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement.” ?

Il s’agit donc de ne pas seulement recevoir, mais sans oublier la gratitude, de laisser passer à son tour, laisser circuler : l’énergie, les biens, les dons.

 

Discerner sa liberté

Il peut sembler plus rassurant de disposer de repères clairs, de directives précises indiquant ce qu’il convient de faire ou d’éviter pour demeurer dans la juste mesure. Cependant, le Christ nous a restitué notre liberté, et c’est en êtres libres que nous sommes appelés à poser nos choix et à orienter nos actes.

Les Pères et Mères du désert ont exercé leur liberté avec radicalité, en choisissant une règle de vie librement consentie, non comme une contrainte, mais comme un chemin d’amour orienté vers Dieu.

Paul nous dit : “« Tout est permis », dites-vous. Oui, cependant tout n'est pas utile. « Tout est permis », cependant tout n'est pas constructif.” (1 Corinthiens 10, 23). En effet, la liberté offerte par le Christ appelle un véritable discernement : elle engage à une responsabilité profonde. Elle doit s’ancrer dans l’amour de Dieu et des hommes. Comme le dit Saint Augustin : “Aime et fais ce que tu veux. Si tu te tais, tais-toi par Amour, si tu parles, parle par Amour, si tu corriges, corrige par Amour, si tu pardonnes, pardonne par Amour. Aie au fond du cœur la racine de l'Amour : de cette racine, rien ne peut sortir de mauvais.»

Il importe dès lors de s’interroger sur l’usage que l’on fait de sa liberté et sur la finalité qu’on lui donne.

 

Observer une distance ajustée

Dans nos relations humaines, il existe également une juste mesure à trouver. Dans notre société contemporaine, le rapport à l’intimité subit de profonds bouleversements. L’exigence croissante de transparence absolue, amplifiée par les médias et les réseaux sociaux, tend à effacer la frontière du domaine intime. Tout est exposé, mis en scène, parfois jusqu’à l’indécence… ou bien, à l’inverse, dissimulé sous des apparences illusoires, construisant un masque qui éloigne de la vérité de soi.

Souvent mal comprise et assimilée au seul registre charnel, la chasteté n’est pas réservée aux moines ni à ce seul registre. La chasteté est une forme de sobriété qui demande à instaurer une juste distance entre soi et l’autre. Elle est celle qui rend possible la rencontre tout en préservant son mystère, son intimité, sa dignité. Elle appelle à une juste posture, ni d’intrusion, ni de retrait, mais à une présence attentive, délicate et respectueuse.

Un apophtegme illustre bien cette attitude de la juste distance : “Un frère alla dans un monastère de vierges visiter sa sœur qui était malade. Mais elle qui était observante ne voyait jamais d’homme et ne voulait pas non plus que son frère entre au milieu des autres femmes. Elle lui fit dire : “Va, frère, prie pour moi et, par la grâce du Christ, j’ai confiance que nous nous verrons dans le royaume des Cieux”. 

Dans cet exemple, il va de soi que la sœur fait cette demande à son frère sans le rejeter. Il s’agit donc de s’interroger sur notre propre besoin de retrait, et sur notre capacité à le formuler simplement et clairement. De même, nous pouvons nous interroger sur nos capacités à accepter les besoins de retrait des autres

 

La sobriété heureuse

Cette formule célèbre de Pierre Rabhi s’accorde assez bien avec la philosophie des Pères du désert et cette citation du Pape François : “La spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété, et une capacité de jouir avec peu » (Pape François, Laudato si’ n°222). 

D’un point de vue chrétien, la juste mesure et la sobriété ne conduisent pas à un appauvrissement, mais ouvrent au contraire à une authentique croissance spirituelle. Elles permettent de recentrer l’existence sur Dieu et de renouer avec la source profonde de la véritable joie.

Un apophtegme évoque assez bien cette attitude : “Quand les fruits étaient mûrs, abba Arsène demandait qu’on lui en apporte et il en goûtait une fois seulement un peu de tous en rendant grâce à Dieu”. 

Ainsi, pour les Pères du désert, la frugalité ne relève pas de la privation, mais constitue une opportunité précieuse de goûter plus pleinement aux dons de Dieu.


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Chaque jour, une méditation de l’Évangile du jour vous est proposée, accompagnée de pistes de réflexion et de questions pour vous guider dans ce chemin de recueillement.

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