Le monophysisme et ses origines apollinaristes : les hérésies de la seule nature du Christ
Au cœur des IVᵉ et Vᵉ siècles, alors que l’Église cherche à exprimer avec justesse le mystère du Verbe incarné, surgissent des controverses qui marqueront durablement l’histoire chrétienne. Parmi elles, le monophysisme occupe une place singulière. Cette hérésie affirme qu’après l’union du Verbe et de l’humanité, il ne subsiste dans le Christ qu’une seule nature, comme si la nature divine absorbait la chair assumée dans le sein de Marie.
Mais cette dérive doctrinale ne naît pas soudainement. Elle s’inscrit dans un cheminement déjà entamé un siècle auparavant avec l’apollinarisme, qui, pour préserver la dignité du Fils de Dieu, refusait de reconnaître en lui une véritable âme humaine. En réduisant ainsi l’intégrité de l’humanité du Christ, l’apollinarisme ouvrait la voie à des interprétations plus radicales encore, où l’union du divin et de l’humain cessait d’être un mystère fécond pour glisser vers une union indistincte où l’humanité du Christ se trouvait comme absorbée.
Aborder le monophysisme et ses racines apollinaristes, c’est ainsi remonter aux sources des débats les plus profonds sur l’identité du Christ. C’est comprendre comment l’Église, confrontée à ces tentations de simplification, a dû affiner son langage pour défendre la vérité de l’incarnation : un seul Seigneur, en deux natures, sans confusion et sans séparation.
Aux origines : du débat sur l’incarnation à la apollinarisme
Aux premiers siècles, plusieurs courants ont déjà fragilisé la juste compréhension de l’incarnation. Le docétisme et certains mouvements gnostiques avaient nié la réalité de l’humanité du Christ. À l’inverse, l’arianisme mettait en cause la divinité du Fils, et le nestorianisme accentuait trop la distinction des natures.
C’est dans ce paysage complexifié par des excès opposés, tantôt dissolvant la véritable humanité du Christ, tantôt altérant sa divinité, qu’apparaît l’apollinarisme au IVᵉ siècle. Apollinaire de Laodicée, désireux de défendre la transcendance du Verbe, en vient à réduire l’humanité du Christ. Pour lui, le Fils de Dieu aurait assumé un corps humain, mais non une âme rationnelle : son intelligence, sa conscience et sa volonté seraient uniquement divines. Cette conception, en niant la pleine intégrité de l’humanité du Sauveur, compromet le salut, car selon Grégoire de Naziance, “ce qui n’est pas assumé n’est pas guéri”.
Condamné à la fin du IVᵉ siècle, l’apollinarisme laisse pourtant une trace durable. Sa manière de diminuer la nature humaine du Christ ouvre la voie à d’autres interprétations déséquilibrées, où l’union du Verbe et de l’homme cesse d’être une communion véritable. C’est dans ce climat déjà fragilisé par de multiples excès que surgira, au siècle suivant, le monophysisme : une tentative radicale de ne reconnaître dans le Christ qu’une seule nature, comme si l’humanité qu’il avait assumée se dissolvait dans sa divinité.
La doctrine monophysite : “une seule nature” après l’union
Le monophysisme apparaît au Ve siècle comme une tentative de simplifier le mystère de l’incarnation en affirmant qu’après l’union du Verbe et de l’humanité, le Christ ne possède plus qu’une seule nature. Selon Éutychès, moine influent de Constantinople, l’humanité du Christ se trouve comme absorbée par la divinité : elle ne subsiste plus réellement, ni dans sa consistance propre, ni dans son intégrité. Jésus demeure ainsi véritablement Dieu, mais n’est plus pleinement homme.
Cette vision naît d’un désir de protéger la grandeur du Fils de Dieu, mais elle déforme profondément la foi chrétienne. Affirmer qu’il ne reste qu’une seule nature après l’union revient à nier que le Christ ait partagé pleinement notre condition hormis dans le péché. Sa croissance, son intelligence humaine, sa volonté propre, sa souffrance et même sa passion deviennent alors problématiques ou illusoires, comme si son humanité n’était plus qu’un instrument passager de la divinité.
En insistant ainsi sur une seule nature après l’union, le monophysisme d’Éutychès se démarque radicalement de l’enseignement reçu par l’Église, qui confesse depuis les origines la pleine réalité de la divinité et de l’humanité du Christ. L’enjeu est décisif : si le Christ n’est pas vraiment homme, il ne peut assumer, transfigurer et sauver l’humanité. C’est cette rupture avec le cœur même de la foi chrétienne qui conduira l’Église à réagir.
La réponse de l’Eglise : d'Éphèse à Chalcédoine
Face aux dérives d’Éutychès et aux tensions qu’elles provoquent, l’Église se trouve contrainte de préciser plus clairement le mystère de l’union des deux natures dans le Christ. Le concile d’Éphèse en 431 avait déjà affirmé, contre Nestorius, l’unité du Fils incarné. Mais cette affirmation a été mal comprise par certains. Il devient alors nécessaire de clarifier ce que l’unité signifie, sans jamais sacrifier la vérité des deux natures.
C’est dans ce contexte qu’est convoqué le concile de Chalcédoine en 451. Les évêques conciliaires y réaffirment avec force que Jésus-Christ est un seul et même Fils, mais qu’il existe en deux natures sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation. Ces quatre adverbes deviennent le socle de la christologie orthodoxe : ils protègent à la fois l’unité de la personne et la distinction réelle des natures.
Le concile accueille alors avec une grande ferveur le Tome envoyé par Léon le Grand, dans lequel l’évêque de Rome expose avec clarté la foi en un seul Christ existant en deux natures ; sa formulation est acclamée par les Pères comme l’expression authentique de la tradition apostolique.
Par cette définition dogmatique, l’Église condamne le monophysisme d’Éutychès comme incompatible avec la foi apostolique. La décision de Chalcédoine aura des répercussions profondes : elle met fin à certaines ambiguïtés doctrinales, mais provoque aussi des ruptures durables avec certaines communautés. Toutefois, elle demeure l’expression la plus claire de la foi chrétienne en Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme, parfaitement uni sans perdre la plénitude de ce qu’il assume.
Postérité et enjeux pour la foi chrétienne
Après Chalcédoine, le monophysisme ne disparaît pas immédiatement. Certaines communautés refusent la définition conciliaire, estimant qu’elle trahit l’héritage de Cyrille d’Alexandrie. De ces incompréhensions naîtront les Églises orientales dites non chalcédoniennes, dont la tradition, bien que distincte, ne se confond pas avec le monophysisme extrême d’Éutychès.
La postérité du monophysisme révèle aussi combien la question christologique demeure centrale. Toute altération de l’une ou l’autre nature du Christ fragilise la foi elle-même : si le Christ n’est pas pleinement Dieu, il ne peut sauver ni guérir ; s’il n’est pas pleinement homme, il ne peut rejoindre l’humanité dans toute sa condition. En cherchant à résoudre le mystère par simplification, le monophysisme rejoint certaines tentations récurrentes déjà entrevues dans d’autres hérésies : minimiser la chair comme dans le docétisme, opposer le matériel et le divin comme dans le manichéisme, ou disperser l’unité du Christ comme dans le nestorianisme.
Dans les siècles qui suivent, certains tentent d’apaiser les divisions en proposant une solution intermédiaire, connue sous le nom de monothélisme. Cette doctrine reconnaissait bien les deux natures du Christ, mais affirmait qu’il ne possédait qu’une seule volonté, essentiellement divine. En niant ainsi la volonté humaine du Sauveur, elle contredisait la réalité même de son obéissance filiale, telle que l’Évangile la montre lorsque Jésus déclare : « Non pas ma volonté, mais la tienne » (Lc 22,42). Ce compromis, rejeté autant par les défenseurs de Chalcédoine que par les monophysites eux-mêmes, fut finalement condamné par le troisième concile de Constantinople (680-681), qui affirma avec force que le Christ agit selon deux volontés, divines et humaines, unies sans se confondre ni s’opposer.
L’Église, à travers Chalcédoine et les siècles qui suivent, rappellera constamment que l’incarnation est un mystère d’équilibre : en Jésus, deux natures demeurent pleinement réelles, unies sans confusion et sans division dans l’unique personne du Fils. Cet équilibre n’est pas seulement une précision théologique : il est la garantie même du salut chrétien. Car la foi confesse que c’est en assumant toute notre humanité que le Fils de Dieu nous élève vers la vie divine, accomplissant en sa personne l’union parfaite que tout homme est appelé à recevoir.
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