Il y a cinq siècles…
Suite de la prédication du Triduum du Saint Sacrement de Miracle que le Père Eymard donna les 26-28 juillet 1858.
Cette prédication comporte 30 paragraphes intitulés (PO 20). Les 13 premiers ont été publiés lors de la Neuvaine eucharistique (25 juillet - 2 août 2018) dont vous trouverez les liens dans la récapitulation.
Précédents chapitres :
- 26 septembre 2018 :
Triomphe de Jésus-Christ par l'Eucharistie
La vérité triomphe par l'Eucharistie
- 3 octobre 2018
La vérité triomphe par l'Eucharistie (suite)
- 10 octobre 2018
La sainteté triomphe dans l'Eucharistie
- 17 octobre 2018
Instructions – Méditations : De l'adoration
- 24 octobre 2018
- 31 octobre 2018
De l'adoration : Associez-vous
- 7 novembre 2018
Puissance de l'adoration perpétuelle
- 14 novembre 2018
- 21 novembre 2018
- 28 novembre 2018
- 5 décembre 2018
Jésus-Christ est ma vie – suite
- 12 décembre 2018
Les vertus viennent de l'Eucharistie
- 19 décembre 2018
Il y a cinq siècles…
Il y a cinq siècles, votre ville devint un Calvaire : un crime de société y fut commis, et aussitôt la ville entière se souleva pour la réparation. Quels furent les auteurs de ce crime ? Ces mêmes Juifs*, la personnification de toutes les passions, ceux que l'Église n'estime qu'après l'impie, après le sauvage même. Je ne parle pas de l'homme, je parle de la nation : elle est toujours bourreau de Jésus-Christ, on ne peut oublier ce sang divin versé par ses mains ! Aussi, l'Église qui prie pour tous le vendredi saint ne prie-t-elle qu'en tremblant pour le Juif ; elle prie debout, refusant de fléchir le genou pour ces perfides qui ont vendu leur Dieu ! Ah ! mes frères, quelle est la perfidie des Juifs à côté de celle du catholique qui vend Jésus-Christ ? C'est un catholique qui, cédant à la prière des Juifs, consent à livrer ici les saintes hosties consacrées. Pour 60 pièces de monnaies être un nouveau Judas ! “L'avare n'a plus de cœur, rien de plus scélérat sur la terre”, dit l'Esprit Saint [cf. Si 10,8]. Oh ! que cette parole est vraie ! Comment, avec du cœur, pouvoir tenir en mains, pour un sacrilège, ces pièces d'or qui elles-mêmes parlaient de Dieu ! C'étaient des agnus Dei, portant l'empreinte de l'agneau divin et comme inscription ces mots si touchants : Agneau de Dieu qui enlèves les péchés du monde [Jn 1,29], puis à l'exergue, cette autre grande parole : Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat, Jésus-Christ a vaincu, Jésus-Christ a régné, Jésus-Christ a triomphé !
Oui, mes frères, il a triomphé, il a vaincu par miséricorde : cette Catherine qui avait commencé la faute avec les Juifs, est touchée par Jésus-Christ, et, loin de continuer le sacrilège, elle l'expie toute sa vie et meurt pieusement. À la nouvelle du crime, la crainte se répand dans la ville : les Juifs qu'on veut massacrer, fuient ; l'Église pleure, les fidèles tremblent, la synagogue se change en un temple où de toutes parts arrivent en foule les pèlerins, et Bruxelles devient la ville du sang adorable ! Jésus-Christ a triomphé !
Cinq siècles ont passé depuis ce grand miracle. D'où vient ce nouveau temple ? Je le sais, à cette époque, la ville entière a fait expiation, votre cathédrale s'est élevée comme un magnifique bouquet de réparation, mais on expie là où fut commis le crime : c'est cette pensée qui a ému quelques âmes ardentes et qui leur a fait élever ce nouveau sanctuaire. C'est ici surtout qu'est le siège de l'expiation ! Comment un seul jour s'est-il passé sans réparation ? Pendant plusieurs siècles qu'a fait la foi ? Où étaient la chapelle, le sacrifice, l'adoration ? On ne trouve plus rien, le grand miracle semblait oublié !
Vous avez repris, mes frères, honneur à vous ! C'est vous qui maintenant devez être les réparateurs du crime de vos pères. Vous allez dans quelques instants communier des mêmes hosties que celles qui furent poignardées, car Jésus-Christ n'est qu'un. Ah ! s'il voulait laisser un rayon dans vos âmes, vous comprendriez l'expiation ! Vous auriez du zèle, vous chercheriez des âmes réparatrices qui viendraient faire acte de présence au tabernacle ! Impossible d'aimer sans être touché de l'abandon de Notre Seigneur ! Oh ! venez pleurer comme Madeleine, amenez des âmes consolatrices à Jésus-Christ !
S. Pierre-Julien Eymard (PO 20,29)
*
Sur les Juifs :
C'est sans doute un des points les plus sensibles dans notre mentalité actuelle. Disons de suite qu'il avait d'excellents amis juifs, ainsi la famille Rosemberg à Tours, le P. H. Cohen et les deux Pères Ratisbonne. Il s'agit, bien sûr, de “convertis”, comme on disait alors. Il reste qu'Eymard a partagé les préjugés et les idées reçues de son époque, celle où l'Église priait pour les perfidis Judæis du Vendredi saint – quelle que soit la traduction exacte de l'expression – sans se soucier suffisamment de l'israelitica dignitas du Samedi saint.
Parmi les griefs que l'on pourrait citer, la liste est longue. Il faut noter l'accusation du peuple déicide, le refus de croire aux miracles ou aux signes du Christ, leur perfidie (traduction transposée du texte liturgique), les sacrilèges eucharistiques qui leur sont imputés, des connotations à caractère négatif. Eymard veut faire du temple des Billettes, rue des Archives à Paris – qui a été confié aux Luthériens par le concordat de 1802 – un sanctuaire eucharistique pour réparer le sacrilège qui s'y serait produit. De la même façon, il évoque en Belgique le “miracle eucharistique” de Bruxelles. Autant de faits ou de traditions, dont l'authenticité n'est pas toujours établie – bien que le P. Eymard ait cru sincèrement à leur réalité historique –, qui relèvent d'une idéologie antijuive.
Les études historiques permettent de mieux situer “des accusations stupides et oiseuses”, véhiculées par l'imaginaire populaire médiéval. Pour ne pas faire l'amalgame avec les événements qui ont suivi, il est bon de noter que cette approche relève de l'antijudaïsme chrétien traditionnel et que le terme “antisémitisme” ne se trouve pas dans Le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, édité par Pierre Larousse dans les années 1870.