Saint Martin - chapitre 4

Le site du monastère de Marmoutier

 

Déjà âgé, Martin entreprend un long voyage pour se rendre à Trèves, ville où, des décennies plus tôt, il avait rencontré Saint Paulin. Son immense bonté, sa compassion l'y entraînent pour voler au secours d'un évêque condamné pour hérésie.

Pourquoi Trèves ? Cette ville, Augusta Treverorum, est une colonie romaine fondée en l'an 16 avant Jésus-Christ sur le site d'un chef-lieu gaulois habité par les Trévires. La ville s'est développée et intéresse de plus en plus les Romains de par sa position stratégique sur la Moselle. En effet, les Barbares ou Francs rhénans montrant des appétits grandissants ne cessent d'envahir la Gaule, colonie romaine. En dotant la ville d'une enceinte fortifiée, les Romains en font une place forte où la résistance à l'envahisseur peut s'organiser. A la fin du IIIe siècle, Trèves a remplacé Lyon (Lugdunum) qui a perdu sa position de capitale des Gaules. Trèves est devenue une seconde Rome en sa qualité de capitale de la Tétrarchie à l'époque où l'Empire romain était gouverné par quatre princes, tous issus de l'armée. Ce système de gouvernement collégial permettait une meilleure gestion des colonies, compte tenu de l'immense étendue du territoire. Plus tard, en 407, la capitale sera à nouveau déplacée à Arles.

A l'époque de Martin, l'Empereur d'Occident règne à Trèves et c'est là que sont conduits les hérétiques pour y être jugés. Ainsi doit se tenir le procès de l'évêque espagnol accusé d'hérésie, Priscillien. On ne sait trop de quoi il s'était rendu coupable mais il avait été excommunié par les conciles de Saragosse en 380 et de Bordeaux en 384. L'orthodoxie de l'Eglise d'Espagne aurait été menacée par la conduite de ce Priscillien qui est donc traduit à Trèves devant l'empereur Maximin. Ce dernier a fait assassiner l'empereur légitime Gratien par son maître de cavalerie. Usurpateur du trône, il va régner quelque temps avant d'être assassiné à son tour. Que Martin se soit rendu à Trèves montre le rôle éminent qu'il joue dans l'Eglise catholique. Il ne vient pas défendre l'accusé, reconnu coupable par l'Eglise, mais essayer d'empêcher sa condamnation à mort. Dans sa bonté, il pense à un repentir, à une conversion, qui sait ? Son plaidoyer semble convaincre l'empereur puisqu'il regagne sa Touraine avec l'assurance d'une grâce obtenue. Mais à peine a-t-il tourné les talons que l'empereur fait exécuter Priscillien et ses disciples.

Toujours en 386, Saint Martin fait un autre séjour à Trèves, sans doute pour se rendre à des assemblées d'évêques qui se pressaient à la cour de l'empereur Maxime. Ce dernier l'invite plusieurs fois à sa table, invitations que notre saint ne cesse de décliner tandis que les autres évêques se pressent d'accepter. Martin connaît fort bien le passé peu reluisant de Maxime. Celui-ci essaye de faire oublier l'illégitimité de son pouvoir. Il s'est fait baptiser et se montre zélé catholique mais Martin n'est pas dupe. Il finit toutefois par se rendre un jour à l'invitation de l'empereur. Ce soir-là, un serviteur tend à l'empereur une coupe mais ce dernier donne l'ordre de remettre la coupe à Martin, dans l'espoir que le saint la lui donnera à son tour, faisant ainsi allégeance en quelque sorte. Mais Martin prend la coupe et, après avoir bu, la remet à un prêtre présent qu'il juge sans doute, par ce geste, plus digne que l'empereur.

A Trèves encore, le don de thaumaturge reçu par Martin se manifeste aux yeux de tous. Sulpice Sévère raconte ainsi la guérison d'une jeune fille paralysée et aphasique. En pleine cathédrale, remplie d'évêques, le père de la malade supplie à genoux le saint de venir chez lui bénir sa fille. Il lui dit sa foi en son intercession. Martin le suit. Comme à l'habitude, il se prosterne sur le sol et prie. Puis il se fait donner de l'huile qu'il bénit et introduit dans la bouche de la jeune fille. Celle-ci recouvre la parole aussitôt et peu à peu, elle parvient à bouger ses membres jusqu'à en retrouver totalement l'usage. D'une démarche assurée, elle se présente devant le peuple. Ainsi l'autorité de l'évêque de Tours s'affirme devant tous, dans la capitale même de la Gaule.

Sa renommée parvient aux oreilles d'un païen, ancien pro consul, nommé Tétradius, dont l'esclave est possédé par un démon qui le torture. Sollicité, Martin refuse d'abord d'aller chez Tétradius car il est païen. Celui-ci promet alors de se convertir si son esclave est guéri. Martin accepte, impose les mains au possédé et expulse le démon. On reconnaît ici l'imposition des mains comme le geste rituel de l'exorciste, encore pratiqué aujourd'hui. Tétradius va tenir sa promesse. Surtout il découvre la foi et se fait baptiser. Sa vie durant, il entourera l'évêque de son affection.

Thaumaturge et exorciste, Martin ne fait appel à ces dons de Dieu que dans un souci de l'évangélisation d'un peuple encore adonné aux coutumes païennes. D'où ce nom d'Apôtre des Gaules voire de Treizième Apôtre qui lui sera donné par la suite. Tout entier acquis aux fidèles qui le chérissent, il montre à tous une infinie bonté et ne supporte aucune forme de violence.

Ainsi, à Tours, un commissaire de l'empereur, le comte Avitianus, fait promener en ville des misérables enchaînés, dont des vieillards et de jeunes enfants, voués le lendemain à la torture et à la mort. Anxieux, les chrétiens de la ville s'interrogent. Comment empêcher pareil crime ? Et l'idée se fait jour : il faut aller chercher l'évêque. Mais il faut agir vite car le soir tombe. Martin a beau se hâter au pas de sa mule, tout dort quand il se présente enfin au palais du comte Avitianus. Par deux fois, il frappe à la porte sans obtenir de réponse. S'il attend l'aube, se dit-il, il sera trop tard pour les prisonniers. A sa prière, le Seigneur envoie des anges à son secours. Ils auraient, dit-on, réveillé Avitianus qui finit par se lever et va ouvrir à l'évêque. Sans plus attendre, il lui dit « - Je sais ce que tu veux, Martin, je te l'accorde ». Martin se retire et Avitianus tient parole. Il libère les prisonniers et quitte la ville.

A Paris, Martin purifie un lépreux de son mal. Il guérit une jeune fille tuberculeuse en lui faisant remettre une lettre écrite de sa main. Elle a pour père un ancien préfet qui voue sa fille à Dieu. Martin lui-même lui remettra l'habit des vierges et la consacrera.

A Vienne ou peut-être à Lyon, il guérit aussi Paulin de Nole, l'élève bien-aimé d'Ausone, d'une cataracte qui lui faisait perdre la vue.

Enfin le guérisseur est lui-même guéri : Martin fait une chute dans un escalier et ne s'en remet pas : il souffre terriblement. Une nuit, le mal disparaît.

Pour faire la connaissance de Martin, Sulpice Sévère, son contemporain, entreprend un long voyage depuis Bordeaux. Il veut prendre ses conseils et recevoir son enseignement. De l'accueil humble et plein de douceur qu'il reçoit de Martin, il va garder un souvenir inoubliable : " L'on ne saurait croire, écrit-il, avec quelle humilité, avec quelle bonté il m'accueillit alors : il se félicitait à l'extrême et se réjouissait dans le Seigneur de ce que nous l'eussions estimé assez pour que le désir de le rencontrer nous eût fait entreprendre ce lointain voyage. Misérable que je suis, j'ose à peine l'avouer, quand il daigna me faire partager son saint repas, c'est lui qui nous lava les pieds... Nous n'eûmes pas le courage de nous y opposer ou d'y contredire : son autorité avait sur moi une telle emprise que j'aurais considéré comme un sacrilège de ne point le laisser faire ".

Après vingt-six ans d'apostolat dans la région de Tours et de nombreux voyages dans toute la Gaule, Martin ne goûte aucun repos. Sans arrêt, Satan s'efforce de réduire à néant les efforts du saint. Il se plaît à allumer la discorde au sein même des clercs chargés de l'évangélisation. Et Martin de reprendre la route, au pas de sa mule, pour calmer les esprits et faire à nouveau régner la paix. Il apprend ainsi qu'une grave querelle divise les clercs d'une paroisse qu'il a lui-même fondée à Candes. Avec un grand nombre de disciples, il décide de s'y rendre. Même s'il confie au Seigneur combien la lutte est difficile :

« Ils sont durs, Seigneur, les combats qu'il faut livrer dans son corps pour ton service : et j'ai assez de luttes que j'ai soutenues jusqu'ici. Mais si tu m'ordonnes de peiner encore pour monter la garde devant ton camp, je ne refuse pas, je n'alléguerai pas pour excuse l'épuisement de l'âge. Je me dévouerai à la tâche que tu m'imposeras : sous les étendards, aussi longtemps que tu l'ordonneras toi-même, je servirai. Sans doute un vieillard souhaiterait un congé après une vie de labeur, mais l'âme est capable de vaincre les années et saura ne pas céder à la vieillesse. Mais si maintenant tu ménages mon grand âge, c'est bien pour moi, c'est ta volonté, Seigneur. Quant à mes frères pour qui je crains, tu les garderas toi-même. Ainsi soit-il. » Ce vieux lutteur, ancien soldat, parle des batailles qu'il a livrées pour son Seigneur, sans que la retraite ait sonné… même si, comme il l'avoue, il souhaiterait un congé. Ce congé, son Seigneur va bientôt le lui donner.

Arrivé à Candes, Martin n'a pas besoin d'argumenter en vue d'une réconciliation. D'eux-mêmes, les clercs, voyant ce vieillard qu'ils chérissent, si fatigué par le voyage, oublient leurs griefs et font la paix. L'apôtre pénètre dans l'église et, à bout de forces, s'y écroule. Les disciples s'affairent autour de lui. Ils sont en pleurs et prient pour sa guérison mais le saint leur annonce sa fin prochaine. Il refuse la couche préparée pour lui et exige un lit de cendres. En ascète, il refuse qu'on adoucisse ses souffrances. C'est tout juste s'il accepte qu'on recouvre son corps de quelques misérables couvertures. Le souffle lui manque et, le 8 novembre 397, il rend son âme à Dieu, ce Dieu qui va désormais s'occuper des siens comme il l'a prédit : Quant à mes frères pour qui je crains, tu les garderas toi-même. » Trois jours plus tard à Tours, le 11 novembre, dans une foule en proie à l'émotion et à la tristesse, ses funérailles sont triomphales.

Près du tombeau de Sain Martin qui fut vénéré pendant des siècles, les miracles se multiplient. Une importante basilique, consacrée en 472 lui fut dédiée. Clovis alla prier sur sa tombe avant la décisive bataille de Vouillé et, en 545, Sainte Clotilde voulut finir ses jours auprès de lui, en priant près de son tombeau. Ce sanctuaire a aujourd'hui totalement disparu et les restes du saint furent brûlés par les huguenots en 1562. Dans l'église moderne, une crypte est dédiée à Saint Martin. Sur le mur, une inscription :


A Saint Martin

Patron de la France

11 novembre 1918

Foch


Dieu accorda en effet la victoire à la France le jour anniversaire de la mort de Saint Martin.

Après tant de siècles, nous pouvons encore recevoir l'enseignement de ce grand saint. La romancière Marie Borrély (Orthodoxes à Marseille) en tire les leçons pour nous.

« La vie de saint Martin nous enseigne qu'à l'encontre de la sagesse purement humaine, l'existence chrétienne bien comprise est une folie de la Croix selon laquelle, pour pénétrer dans la sphère d'existence de la plénitude divine, l'homme n'a que l'ouverture de son vide à offrir à Dieu, avec l'aveu défaillant de sa misère et de sa faiblesse. La vie toute entière de saint Martin de Tours vérifie et démontre, d'une manière existentielle, vécue, concrète, et non pas discursive et abstraite, intellectuelle, ce fait que, dans ses Béatitudes, Jésus se plaît à renverser les normes terrestres de bonheur et à briser l'orgueilleuse fermeture de la perfection humaine enfermée dans son immanence close. La grande leçon de la vie de saint Martin, évêque de Tours, c'est l'affirmation que l'homme n'a pas été créé par Dieu pour être rempli de soi-même, mais afin de n'être qu'un pur réceptacle de Dieu, c'est la proclamation de l'éminente dignité de l'humilité, de la mort vivifiante au vieil homme et de sa résurrection en Christ ressuscité à la vie de l'homme nouveau, de la pauvreté spirituelle chantée par la première Béatitude : « Bienheureux les pauvres en esprit », bienheureux les pauvres dans le saint Esprit ! »

Avant de quitter l'Apôtre de la Gaule, empruntons au Bienheureux Charles de Foucault la prière qu'il composa pour Saint Martin :

« Grand saint Martin, patron des moines, patron de ceux qui ont aimé jusqu'à l'adoration la pauvreté évangélique, patron de ceux qui ont vu Jésus dans leur prochain et se sont dépouillés de leurs propres vêtements pour l'en couvrir dans ses pauvres ; ô bon pasteur, qui avez gardé et soigné et votre troupeau monastique et les ouailles de votre diocèse avec tant d'amour ! Ô grand apôtre qui avez évangélisé tant de provinces et converti à Jésus tant de païens ; ô bon soldat qui vous êtes présenté sans armes au premier rang de l'armée un premier jour de bataille pour être fidèle à la loi divine, vous dont j'ai vu à Candes le lieu mortuaire, priez pour moi, protégez-moi, apprenez-moi à pratiquer vos vertus, à imiter Jésus, à aimer le prochain, et à faire dans mon obscurité, dans l'obscurité de Nazareth, ce que vous fîtes avec tant d'éclat : passer sur la terre en faisant le bien, vivre et mourir avec vos derniers mots sur les lèvres et dans le cœur : « Mon Dieu, je soupire après Vous, je voudrais quitter la vie pour Vous être réuni, cependant, si je suis encore utile ici-bas, je ne refuse pas le travail... Mon Dieu, que Votre volonté se fasse » Ainsi soit-il. » 

Avec Saint Martin et le Bienheureux Charles de Foucauld, prions la Vierge Marie.

Je vous salue, Marie…

Prière de la communauté

Je vous salue Marie

Je vous salue Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus le fruit de vos entrailles est béni. Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort. Amen.

Merci ! 210 personnes ont prié

6 commentaires

Que vos paroles soient toujours bienveillantes, qu’elles ne manquent pas de sel, vous saurez ainsi répondre à chacun comme il faut. Col 4 : 6

loader

Cheminer avec les Saints en terre de France

Je m'inscris