Bienheureux Alain de Solminihac - Chapitre 2

L’abbaye de Chancelade

 

Soucieux de réformer l’abbaye, Alain de Solminihac met au point des Constitutions qui organisent la vie de la communauté. Des horaires précis rythment le temps consacré à la prière, notamment un chant des matines, à minuit. Levés à 5 heures, revêtus d’une soutane blanche, les chanoines méditent de 5 h 30 à 6 h 30. Puis c’est Prime.  Chacun peut ensuite célébrer la messe ou vaquer à ses occupations dans sa cellule. Celle-ci  est austère, meublée d’une table en bois commun, d’un lit, d’une chaise, d’un prie-Dieu. Un bénitier, quelques livres indispensables et un encrier complètent l’ensemble. A 9 heures, Tierce puis grand-messe conventuelle. L’Abbé, très attaché à la beauté des offices, se montre exigeant quant à la qualité du plain-chant, domaine où il s’implique, n’hésitant pas à conduire des répétitions. Après sexte, vient le premier repas de la journée au rythme d’une lecture spirituelle. L’Abbé surveille la bonne nourriture de ses religieux et n’hésite pas à goûter les portions, souci qui n’exclut pas, pour lui-même, les jeûnes et mortifications. Après none, une récréation permet la détente. Les conversations s’interrompent au bout d’une heure, dès que sonne la cloche. Les chanoines récitent ensuite les Litanies de la Sainte Vierge puis vaquent à leurs travaux ou étudient dans leur chambre, occupations juste interrompues par les Vêpres à 15 h 15. Puis complies à 17 h, souper et récréation jusqu’à 19 h. Nouvelle récitation des litanies de la Vierge et examen de conscience. A 20 h, l’abbaye s’endort jusqu’à minuit.

Ce programme paraît inacceptable aux chanoines irréductibles, habitués à une vie facile, qui se refusent à le respecter et à adopter la vie commune.  Alain leur demande alors tout simplement de quitter les lieux. Les plus courageux, plus récents aussi, restent : outre le Père Abbé, Pierre Lamic, compagnon d’Alain nommé Prieur, Laurent, un jeune profès ramené de Paris, et trois novices. Un nombre dérisoire mais la jeune communauté brûle d’enthousiasme.

Cela dit, la réputation de sainteté de l’Abbé et la perfection de la vie religieuse conduite à l’abbaye séduisent de nouvelles recrues. Et elles affluent. Les jésuites d’Aquitaine y pourvoient. En 1632, ils envoient à l’abbaye une dizaine de candidats. A l’exemple d’un certain Jean Garat qui se présente un beau jour à la porte (il deviendra l’Abbé qui succèdera à Alain). C’est un frêle adolescent que le maître des novices prend pour un écolier. Il lui demande sèchement qui l’envoie. « Le Bon Dieu » répond le jeune homme. « Et pourquoi faire ? » « Pour faire Sa Volonté. C’est à vous, mon Père à me l’apprendre et à moi de la faire. »

A partir de 1630 et en six ans seulement, quarante-six novices font profession. La spiritualité de Chancelade ne cesse d’attirer. Elle est celle de la petite voie et de l’ordinaire, de la sainteté cachée. Cela commence par le règlement qui doit faire l’objet d’une très étroite observance, à commencer par une rigoureuse ponctualité. Même s’il s’applique la discipline, l’Abbé Alain ne souhaite pas que les chanoines multiplient les pénitences corporelles. Il recommande les mortifications intérieures : se vider de son « moi », arracher vices et imperfections, planter les vertus…

Les chanoines font vœu de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. L’Abbé loue surtout l’obéissance « qui met l’âme en repos ». Il prône aussi l’humilité, seule capable de montrer le chemin pour arrive à la perfection. Cette formation exigeante engendre des religieux hors du commun dont certains ont laissé la trace de leur sainteté.

Attaché à sa réforme dont il constate les effets positifs, L’Abbé se bat inlassablement contre les menaces qui pèsent sur elle. Ainsi la nomination de l’Abbé de Chancelade qu’il veut rendre élective. Il n’hésite pas pour l’obtenir à faire le voyage de Paris et à supplier le Roi qui se rend à ses arguments. Les lettres patentes royales précisent en effet que la dignité d’Abbé de Chancelade est, dorénavant et à perpétuité, élective par le Chapitre des chanoines.

Cette dignité, Alain de Solminihac l’exerce avec un grand discernement et dans l’observance d’une totale pauvreté dont il déclare qu’il faut la recevoir « comme une aumône de Dieu. » Il ne considère pas posséder l’abbaye en propre mais plutôt en partage avec les autres chanoines.

Il a la réputation d’un homme exigeant, austère, au tempérament de feu, parfois violent face à certains scandales ce qui peut dissimuler au premier abord une bonté et une générosité infinies. Cette véhémence en lui, il s’efforce de la juguler en se faisant « mille violences ». De fait son immense bonté l’emporte toujours et il sait témoigner à ses religieux une grande tendresse en de multiples occasions. « Bonté et fermeté sont mes deux pieds » dit-il.

Austère, l’Abbé Alain s’impose une vie de pénitence que le règlement de l’abbaye ne prévoit pas. Il jeûne trois fois par semaine, voire davantage, son menu se résumant au pain et à l’eau. Ce régime a bientôt raison de sa santé et il consent alors à prendre deux fois par semaine du potage et des œufs. Pendant la famine de 1628, il ne se nourrit plus que de châtaignes : « il faut garder le pain pour les pauvres. » Il organise donc une distribution alimentaire et secourt 800 pauvres par jour non sans se préoccuper en premier lieu de leur nourriture spirituelle. Il commence donc par une leçon de catéchisme. A Périgueux où domine la faim, il menace : « Riches, Dieu ne vous écoutera pas si vous n’écoutez pas les pauvres ! » Et les bourses de se délier…

La famine est suivie d’une épidémie de peste en 1631. Au petit matin, Alain part dans les paroisses touchées par le fléau. Il réconforte, confesse, donne les sacrements. A l’abbaye, il se met en quarantaine de peur d’être un agent de contagion. Et de fait, il contracte un clou pestilentiel qui lui occasionne une forte fièvre. Il n’en a cure et continue ses expéditions.

Sa valeur est reconnue à tel point que La Rochefoucauld, chargé à partir de 1628 de réformer les chanoines réguliers de France, l’envoie en mission. Il s’agit de faire un état des lieux des maisons canoniales et de signifier aux religieux les ordonnances du Cardinal. Il met tout son soin et sa sagesse à s’acquitter de sa tâche.

Or ses investigations dans le sud-ouest se terminent dans la consternation : partout les abbayes sont en ruines, le clergé dépravé et intéressé.

Au cœur de cette vie canoniale défaillante, Chancelade brille comme un phare et va bientôt essaimer. L’abbaye se sépare de chanoines qui ont pour mission de créer de nouveaux foyers sous la règle instaurée par l’Abbé Alain. Le premier est l’abbaye de La Couronne, au sud-ouest d’Angoulême. Il pleut dans l’église, les bâtiments sont délabrés, la messe conventuelle rendue impossible, faute de vases sacrés. Les cinq chanoines qui vivent là se voient proposer d’accepter la règle de Chancelade ou d’être pensionnés sur les ressources d’Alain. C’est l’option qu’ils retiennent de sorte que, dès la Semaine Sainte de 1632, neuf des chanoines de Chancelade s’y installent. Les bâtiments sont réparés peu à peu et bientôt la vie canoniale reprend, on vient d’Angoulême entendre les prédications et recevoir les sacrements. En 1633, l’Abbé Alain fixe à La Couronne son noviciat d’ordre. Et pour évangéliser la population, il charge les novices de faire le catéchisme aussi bien aux enfants qu’aux personnes âgées.

Après La Couronne, la réforme d’Alain gagne Saint Gérald de Limoges, prieuré où partent s’établir un groupe de chanceladais.

A dater de ce moment, l’Abbé de Chancelade croule sous les demandes. Malgré l’afflux de vocations, il se rend compte qu’une émigration massive de ses religieux serait dangereuse pour l’abbaye-mère. Il refuse donc à son ami Vincent de Paul de réformer Foix. Idem pour l’abbaye de Saint- Ambroix à Bourges. Car il est s’engagé à réformer Sablonceaux, en Saintonge où huit de ses religieux partent introduire la règle de Chancelade.

Cependant l’expansion de Chancelade dans le sud-ouest est mal ressentie à Paris. En 1624, l’Abbé de La Rochefoucauld forme à Sainte-Geneviève une congrégation de chanoines réguliers à laquelle estvrattachée, dix ans plus tard, une douzaine de maisons. Un autre noyau de réforme naît à l’abbaye Toussaint d’Angers autour du prieur Gallet, un ami de l’Abbé de Chancelade. Deux thèses vont ensuite s’affronter : la première, voulue à Sainte-Geneviève, prône la centralisation, soit une seule règle pour tous, applicable partout. La seconde est celle de l’Abbé de Chancelade, à savoir un fédéralisme vécu dans différentes provinces, position que lui inspire son souci de réformer. En effet, pour lui, une réforme efficace suppose de nombreux déplacements qui ne peuvent s’envisager qu’au sein de provinces distinctes les unes des autres. En aucun cas, cette nécessaire surveillance n’est possible depuis Paris. Ajoutons que la règle de Chancelade est plus dure que celle de Paris : par exemple, célébrer Matines à minuit semble inconcevable à Sainte–Geneviève qui fixe cet horaire à 20 h. En fait, Alain de Solminihac défend l’originalité de sa réforme, moulée dans la meilleure tradition de l’ordre, réforme qui possède aussi le privilège de l’ancienneté.

Il n’aura pas gain de cause. La Rochefoucauld nomme un certain Père Faure visiteur de la Congrégation. Centralisateur, ce dernier renforce son autorité lors d’un Chapitre général où l’Abbé de Chancelade n’étant pas convoqué, il se fait élire Supérieur Général de la Congrégation et Coadjuteur de Sainte-Geneviève. Ce succès fait fléchir l’Abbé Gallet à Angers. Alain se retrouve seul et, malgré ses protestations, doit se soumettre. On lui concède de gouverner comme il l’entend les quatre maisons qu’il a réformées mais il ne peut plus prétendre à d’autres conquêtes. Il sauve cependant sa réforme.

 

Alain de Solminihac a mis toutes ses forces vives dans sa réforme et elle lui est contestée. Il médite et se recueille en Dieu. En une autre occasion, il dira que les persécutions ont du bon puisqu’elles détruisent l’orgueil : « Nous devons aimer la confusion et l’abjection car c’est en cet amour que consiste la crème de l’humilité. »

L’épreuve est purificatrice : « Je vois tant de merveilles, affirme Alain de Solminihac, dans les croix que je n’ai point de paroles pour les exprimer… Les croix ont deux effets : elles nous purifient et nous rendent semblables à Notre Seigneur ».

A nous de méditer ces paroles quand l’épreuve survient dans nos vies. Epreuve où nous ne sommes jamais seuls puisque la Vierge Marie nous accompagne de sa tendresse.

 

Je vous salue, Marie…

Prière de la communauté

Je vous salue Marie

Je vous salue Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus le fruit de vos entrailles est béni. Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort. Amen.

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Que vos paroles soient toujours bienveillantes, qu’elles ne manquent pas de sel, vous saurez ainsi répondre à chacun comme il faut. Col 4 : 6

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