( 14 )      RÉCIT DES APPARITIONS, réalité des apparitions.

Les enquêtes…

Jusqu'ici des appréciations, bien tranchées dans un sens et dans l'autre, avaient été émises par le peuple à propos des révélations de Nicolazic et des événements de Keranna.

  Mais ces jugements ne pouvaient pas faire autorité : la foule se prononce d'après ses sentiments, elle ne raisonne pas.

  C'est à l'Eglise qu'il appartient de juger en cette matière ; et il arrive un moment où elle ne peut pas se dérober à cette obligation ..

  Or l'Eglise ne s'était pas encore prononcée.

  Le recteur de la paroisse avait, il est vrai, émis son opinion; mais avec un parti pris évident et sans examen sérieux.

  Les Capucins d'Auray avaient étudié le cas avec impartialité et bienveillance, mais ils n'avaient pas osé formuler un jugement.

  Du reste, ni le recteur ni les Capucins n'avaient qualité pour parler au nom de l'Eglise.

  C'était à l'évêque à intervenir.

  L'évêque s'appelait alors Sébastien de Rosmadec ; il appartenait à .une vieille famille bretonne ; et il venait de prendre possession du siège de Vannes l'année précédente.

  Il était bon, prudent ; et, dès le début, il voulut s'initier au gouvernement de tout son diocèse. Rien d'étonnant dès lors qu'il fût tenu au courant des bruits qui circulaient partout au sujet du Voyant de Keranna.

  Frappé des rapports divers qu'on lui avait adressés, apprenant que les pèlerins accouraient en grand nombre, et que la province entière commençait à s'émouvoir, il donna commission à Messire Bullion, bachelier en Sorbonne et recteur de Moréac, de procéder à une première enquête.

  A Pluneret. - Le commissaire de l'évêque se rendit à Pluneret, le mercredi 12 mars, et manda Nicolazic au presbytère: l'interrogatoire eut lieu en présence du recteur, du vicaire, de dom Yves Richard et d'un clerc nommé Jean Burguin ..

  A toutes les questions qui lui furent posées, Nicolazic répondit avec netteté et sans embarras. Toutefois la présence des deux prêtres qui lui avaient fait une opposition si déclarée l'intimida quelque peu et l'empêcha de tout dire. Il garda pour lui certaines circonstances, et il ne les révéla que plus tard, lorsque les événements accomplis vinrent donner une autorité plus grande à ses déclarations.

  Le procès-verbal de la déposition fut signé de tous les témoins, y compris le recteur et le vicaire.

  En présentant à l'évêque le résultat de son enquête, le commissaire lui fit connaître aussi l'attitude du recteur de la paroisse et ses efforts pour s'opposer aux projets de Nicolazic, ainsi que les emportements du vicaire qu'il avait envoyé pour disperser la foule en prières. Il ajouta que tous ces efforts n'aboutissaient à rien, et que les pèlerins accouraient toujours.

  En écoutant ce récit, et en lisant la déposition de Nicolazic, le prélat fut vivement touché, et il voulut voir et interroger lui-même le Voyant.

A Kerguéhennec. - La deuxième information eut lieu au château de Kerguéhennec en Bignan, chez messire du Garo, beau-frère de Mgr de Rosmadec.

  L'évêque ordonna qu'on y fît venir Nicolazic.

  Il reçut le Voyant avec sa bienveillance habituelle, écouta patiemment le long récit de tout ce qui était arrivé, puis il discuta, posa des questions, demanda des éclaircissements.

  Nicolazic répondit à tout, ingénument et d'une façon très judicieuse.

  M. du Garo fut prié de l'interroger à son tour.

  C'était un ancien membre du Parlement, d'une grande habileté dans les affaires, et initié à toutes les roueries des interrogations juridiques ; à un tel magistrat, expérimenté et très intelligent, il était difficile d'en Imposer.

  Prenant texte de la déposition qu'il venait d'entendre, il y relève des contradictions apparentes, fait des objections, signale des impossibilités ; il tourne et retourne les affirmations du bonhomme, lui pose des questions captieuses. Mais le Voyant ne se coupa jamais, il ne se contredit pas ; et dans ce duel très inégal en apparence, ce fut lui qui eut l'avantage.

  Nicolazic, qui par sa droiture avait produit la meilleure impression sur l'évêque et sur messire et Mme du Garo, fut lui-même ravi de l'accueil qu'on lui faisait : il avait enfin trouvé des auditeurs bienveillants.

  Il partit tout réconforté. Toutefois l'évêque le chargea d'aller trouver le recteur de sa part, et de lui faire cette commission : tous les deux devaient se rendre à Vannes et se présenter devant lui à une date déterminée.

A suivre : A l'Evéché…

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