Saint Bernard de Clairvaux - Chapitre 4

Eugène III est ce pape que Bernard a donné en 1145 à l'Eglise et dont il est resté le maître à penser. Le nouveau pape n'est autre que ce disciple, prénommé Bernard, lui aussi, que le saint avait emmené avec lui à Clairvaux, au sortir du Concile de Pise. Or le pontife lui demande un Traité sur les lourds devoirs de sa charge. Bernard accepte en ces termes : « Quand vous marcheriez sur l'aile des vents, vous n'échapperez pas à mon affection... L'amour reconnaît un fils, même sous la tiare. » Ce magnifique Traité, De la Considération inspire encore les pontifes d'aujourd'hui.

Pour éviter au pape d'avoir à régler des procès de plus en plus nombreux, Bernard suggère la création d'un « auditorium » où des juges sont chargés de régler les conflits. Cet auditorium serait peut-être l'ancêtre de l'actuel Tribunal de la Rote.

Dès son élection sur le trône de Saint-Pierre, Eugène III reçoit de très mauvaises nouvelles du royaume franc de Jérusalem. Prospérité et richesses l'ont affaibli, des querelles sont survenues. De nombreux croisés ayant accompli leur devoir sont rentrés chez eux retrouver leurs familles. La défense n'était plus guère assurée lorsque la forteresse frontalière d'Edessa tomba le 24 décembre 1144. Le pape décide alors une nouvelle croisade mais il n'arrive pas à susciter l'enthousiasme. Un seul homme peut soulever les foules, pense-t-il, un homme célèbre, vénéré dans toute la chrétienté : Bernard de Clairvaux.

Sollicité, celui-ci hésite. Il est alors très préoccupé par l'hérésie qui se dessine dans le Midi et qui s'affermit un peu plus chaque jour. Il sera donné plus tard, à ses adeptes, le nom de Cathares. Bernard a du mal à appréhender ce qui se passe en Languedoc et en Aquitaine, régions bien différentes de celles du nord de la Loire. Elles ont une langue et une législation propres, un commerce très développé, des villes accueillantes et favorables aux idées nouvelles qui y sont véhiculées. Des églises trop riches, des prêtres qui s'adonnent à la luxure, voici que les paroisses sont désertées et les critiques sévères contre l'Eglise. Aussi le langage des parfaits, qui prône un retour à une vie plus simple, est-il très bien perçu et leur nouvelle religion se répand. Elle emprunte certains aspects à la foi catholique et d'autres à la religion prêchée vers le VIe siècle avant Jésus-Christ par le persan, Zoroastre. Il ne s'agit pas d'une religion révélée mais d'une conception du monde où s'opposent le Bien et le Mal, présents en tout homme, chaque être humain devant rechercher la bonne parole, la bonne action.

En 1145, Saint Bernard décide de se lancer à nouveau sur les routes. Le prêche de la croisade attendra. Contre les hérétiques, il tente sans succès de réveiller les consciences catholiques. Comme à l'habitude, il ne ménage pas sa peine. On l'entend prêcher à Poitiers, Bergerac, Périgueux, Sarlat, Cahors, Albi, Verfeil. Malgré les miracles qui l'accompagnent partout où il passe – à Sarlat, il bénit des pains qui guérissent ceux qui les mangent, à Toulouse, un chanoine mourant qu'il a confessé se lève, guéri, et vient chanter un Te Deum dans la cathédrale - sa parole se heurte à l'indifférence générale. Découragé, il aurait dit en quittant Verfeil : « Verfeil (verte feuille) que Dieu te dessèche ! » De même, au sujet des cathares lui sont attribuées ces paroles : « On ne les convainc ni par le raisonnement (ils ne comprennent pas) ni par les autorités (ils ne les reçoivent pas) ni par la persuasion (car ils sont de mauvaise foi). Il semble qu'ils ne puissent être extirpés que par le glaive matériel. » Plus tard, pour justifier la croisade des albigeois, d'autres propos semblables furent prêtés au saint comme : « saisissez-les et ne vous arrêtez pas jusqu'à ce qu'ils périssent car ils ont prouvé qu'ils aimaient mieux mourir que se convertir ». Propos étranges, à supposer qu'il les ait tenus, dans la bouche d'un homme de paix qui s'était toujours prononcé en faveur de la vie...

A son retour, il ne peut plus attendre. Il lui faut prêcher cette croisade malgré son peu d'enthousiasme. Pour réveiller l'ardeur des chevaliers, Bernard promet aux futurs croisés l'absolution de tous leurs péchés. Le 31 mars 1146, il prêche à Vézelay, non pas dans la basilique, trop petite, mais non loin de là, dans un lieu-dit la Croix Saint-Bernard. Il évoque Edesse profané et le tombeau du Christ menacé. Sont présents le roi Louis VII le Jeune et son épouse Aliénor d'Aquitaine, des princes, des seigneurs, invités à l'humilité, à l'obéissance et au sacrifice. Galvanisés par le prêche du saint, tous veulent revêtir la croix. Au point qu'ils arrachent des morceaux de la coule blanche de Bernard en guise de reliques. Bernard s'adresse ensuite aux autres provinces de France : « la terre tremble et s'agite parce que le Roi du Ciel a perdu sa terre, la terre où ses pieds se sont posés ». Après la France, il se rend en Allemagne. Même si Flamands et Allemands ne comprennent pas ses paroles, ils s'enrôlent en masse. Dieu multiplie les miracles sous les pas du saint et ce langage-là est bien perçu ! A Strasbourg, il manque d'être étouffé par la foule. L'empereur Conrad qui est un géant l'emporte dans ses bras pour le soustraire à l'enthousiasme du peuple. Il prêche à Liège, Worms, Mayence, Cologne, Francfort, Fribourg, Bale, Constance, Zurich, Spire où Conrad est couronné. Comment cet homme constamment malade a-t-il pu supporter pareil voyage ? On le dit pâle comme le spectre de la mort.

C'est lors de son séjour à Mayence qu'il apprend qu'on y massacre des juifs. Comble de l'horreur, c'est un ancien moine cistercien, le prédicateur Rudolf, qui excite les foules contre eux. Ils sont haïs car ils pratiquent l'usure, n'hésitent pas à dépouiller églises et monastères. Cela ne justifie en rien leur assassinat. Bernard n'hésite pas, il se rue en pleine bagarre, écarte les habitants déchaînés : « Délivrez le tombeau du Christ mais ne touchez pas aux fils d'Israël : ils sont la chair et les os du Messie. » La foule cède et les juifs acclament Bernard. Celui-ci affirme que Rudolf n'a reçu de personne mission de prêcher. « La doctrine de Rudolf ne procède pas de Dieu : elle vient du Démon, le père du mensonge qui est homicide depuis le commencement. »

Par la suite, Bernard écrira aux Allemands : « il ne faut pas s'attaquer aux juifs, ni les tuer, ni même les expulser... Ils ont été dispersés et souffrent un dur exil sous des souverains chrétiens. Mais ils reviendront vers le soir et, au temps marqué, ils croiront. Selon les paroles de l'Apôtre : « l'endurcissement d'Israël s'est produit pour laisser à l'ensemble des nations le temps d'entrer. C'est ainsi qu'Israël tout entier sera sauvé » (St Paul, Epître aux Romains, XI, 25-26).

En 1148, Louis VII et Conrad partent en croisade. Celle-ci se traduit par un échec total pour les croisés, décimés et ruinés après le siège manqué de Damas. Bernard qui avait accepté à contrecœur de prêcher cette croisade fut immédiatement accusé de son insuccès. Il en accepte la responsabilité et écrit : « Je préfère voir les murmures des hommes s'élever contre moi que contre Dieu » et : « L'homme doit-il cesser de faire ce qu'il doit parce que Dieu fait ce qu'Il veut ? ». Plus tard, il aura ces mots admirables : « Que m'importent les jugements des hommes ? Tant mieux si le Seigneur daigne se servir de moi comme d'un bouclier. Qu'on me déshonore pourvu qu'on ne touche pas à la Gloire de Dieu ! Quel honneur pour moi d'entrer ainsi en union avec Jésus-Christ ! »

Homme de paix, soldat de Dieu, Bernard n'en finit pas de prêcher, de convaincre, de débattre. Autour de lui fleurissent les hérésies. Un moine philosophe, Pierre Abélard (celui-là même qui vécut une dramatique histoire d'amour avec Héloïse) orgueilleux savant est très écouté de ses élèves. Théologien, il subordonne la foi à la raison. « Je ne crois pas ce que je ne comprends pas » dit-il. Il se prétend un nouvel Aristote, s'inspire des thèses de Nestorius, lequel niait que la Vierge Marie puisse être la mère de Dieu, et d'Arius qui affirmait que le Christ, fils de Dieu, n'était pas de même nature que le Père. Adoré de ses élèves, il fonde une école sur la Montagne Sainte-Geneviève où les étudiants accourent en grand nombre. Au moins la fondation de l'Université de Paris peut-elle être ainsi mise à son actif...

L'emprise d'Abélard sur les penseurs de son temps était telle que, face au danger, Bernard, en un premier temps, décide de le rencontrer. Sa douceur et sa charité opposées à l'orgueil du savant resteront sans effet. Abélard continue ses publications. Lorsqu'il fait paraître, en 1139, L'Introduction à la Théologie et La Théologie Chrétienne, c'est le drame. Ces deux documents mettent la foi en péril et consacrent l'hérésie. Pour Bernard, Abélard incarne l'intelligence dominante, l'arrogance. Son immense célébrité est construite sur une erreur, celle d'une foi passée au crible de la raison. Et cette démonstration se fait au détriment de la vie intérieure. Abélard, constatant que Bernard lutte contre ses idées, publie en 1140, un pamphlet injurieux contre lui. Puis il déclare vouloir être confronté à Bernard devant une Assemblée des Evêques – dont certains adhèrent à ses idées. Un Concile a donc lieu à Sens. Bernard développe longuement le caractère hérétique des quelque seize ou dix-sept propositions qui résument la pensée d'Abélard. Puis il questionne Abélard. Tous attendent que ce dernier expose sa défense. Mais il s'effondre, brusquement incapable d'une pensée cohérente. Il quitte la cathédrale et en appelle à Rome où il décide de se rendre. En chemin, il s'arrête à l'abbaye bénédictine de Cluny et... y reste. En effet Pierre le Vénérable l'accueille et le convertit. Plus tard, Il se réconciliera avec Bernard.

Toute sa vie malade, il semble que Bernard trouve des forces chaque fois que l'Eglise a besoin de lui. En 1152, sa santé décline et l'Eglise de Rome comme la Cour du Roi sont en émoi. Il rassure : « rien à craindre pour cet hiver, ce sera pour l'été prochain. » De fait, le printemps le voit de nouveau sur les routes, en marche vers la Lorraine où le sang coule. Le temps de négocier la paix, d'accomplir quelques miracles et le voilà de retour à Clairvaux, miné par la maladie. Par le chagrin aussi : le pape Eugène III, son ami, vient de mourir. Le saint s'affaiblit chaque jour davantage, son estomac ne peut plus rien supporter, ses membres enflent même si, comme il l'affirme « l'esprit est encore prompt ». Il continue à dire sa messe, à veiller sur tout. Face à son déclin, la peine de ses fils lui est insupportable. Il les quitte le 20 août pour le repos éternel.

A peine la nouvelle est-elle connue que la foule envahit Clairvaux, on veut toucher des objets appartenant au saint, on l'invoque et il répond par des miracles. Pour sauver le recueillement, on avance la date de l'enterrement. Et le nouvel Abbé aurait enjoint au saint du ciel de cesser ses miracles au nom de l'obéissance et pour le bien du monastère. Et du ciel, le moine Bernard aurait obéi.

Il est alors honoré par tout le monde chrétien. Il a fait de Cîteaux un des principaux centres de la chrétienté, un haut lieu spirituel. Intervenant comme arbitre, conseiller ou guide spirituel dans les grandes questions du siècle, il a conféré à l'Ordre le rôle de gardien de la paix religieuse.

Son influence, dépassant Cîteaux, a suscité la réforme d'autres ordres monastiques. Ainsi Pierre le Vénérable a entrepris des réformes chez les Bénédictins, même chose avec Suger à l'abbaye de Saint-Denis. Son rôle politique auprès des divers monarques de son temps est incontestable. Pour lui, le pouvoir temporel était soumis au pouvoir spirituel. Il en montrait la voie aux souverains avec conviction, totale humilité et amour. Il fut proche, voire ami, des papes de son époque, sachant les conseiller dans la conduite de l'Eglise et des âmes. Surtout son amour et sa tendresse allaient aux petites gens, aux pauvres, aux pécheurs dont il savait si bien réveiller les consciences.

Saint Bernard de Clairvaux fut canonisé le 18 janvier 1174 par le pape Alexandre III et déclaré Docteur de l'Eglise par le pape Pie VIII en 1830.

Au moment de la mort du Saint, l'Ordre comptait trois-cent-cinquante monastères dont soixante-huit établis par Clairvaux. Au XIVe siècle, ils étaient six-cent-quatre-vingt-dix monastères avec une concentration très dense en France. Cîteaux s'étendait aussi au Portugal, en Suède, en Irlande, en Estonie, en Ecosse, jusqu'en Sicile et en Transylvanie.

Des moniales bénédictines s'installèrent en 1125 à l'abbaye de Tart et reçurent la protection de l'Abbé de Cîteaux, Etienne Harding à l'époque. Ces cisterciennes essaimèrent à leur tour en France et à l'étranger. Elles donnèrent, au cours des siècles, plusieurs saintes à leur pays.

Aujourd'hui, la famille cistercienne compte trois ordres monastiques :

L'OCIST est l'héritier direct de Cîteaux. Mais suite à la tourmente révolutionnaire, l'Ordre s'était développé en Allemagne et en Autriche où il lui fut fait l'obligation de tenir des paroisses et des écoles. Actuellement 1600 moines et 800 moniales sont répartis respectivement dans 80 et 78 monastères.

Afin de retrouver la règle initiale, l'abbaye de la Trappe a entrepris une réforme en 1892. C'est l'Ordre Cistercien de la Stricte Observance ou OCSO. Ces moines et moniales cisterciens sont aussi appelés trappistes. Ils sont à ce jour 2600 moines dans 96 abbayes et 1885 moniales dans 66 monastères.

Enfin les bernardines d'Esquermes développent une activité d'éducation et d'hospitalité. Présentes dans le nord de la France, elles comptent aujourd'hui 8 monastères établis dans 6 pays.

« Chercher Dieu disait Saint Bernard, c'est être cherché par Lui. » Et : « Si Vous êtes bon, Seigneur, à l'âme qui Vous cherche, qui êtes-Vous donc pour celle qui Vous trouve ? Mais il y a ceci d'admirable que personne ne puisse Vous chercher sans Vous avoir d'abord trouvé. » Et ce Dieu que Bernard a cherché et trouvé lui donnait son Esprit-Saint pour le bonheur de son âme. Il écrivait : « Le Saint-Esprit est le baiser de Dieu ». Eprouver la tendresse de Dieu dans le mystère de la Trinité comblait donc Saint Bernard. Et comme il cherchait Dieu, il se laissait guider par l'Etoile, Marie, la Mère du Ciel. Regardez l'Etoile, invoquez Marie, insistait-il.
A sa suite, invoquons la Vierge bénie, Marie, notre Mère.
Je vous salue, Marie...

Prière de la communauté

Je vous salue Marie

Je vous salue Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus le fruit de vos entrailles est béni. Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort. Amen.

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4 commentaires

Que vos paroles soient toujours bienveillantes, qu’elles ne manquent pas de sel, vous saurez ainsi répondre à chacun comme il faut. Col 4 : 6

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