Saint Bernard de Clairvaux - Chapitre 2

L'austérité de Cîteaux, apprentissage difficile pour l'ensemble des jeunes seigneurs habitués à un certain confort, apparaît encore trop douce pour le jeune Bernard. La nourriture des moines exclut viandes, poissons et œufs. Une livre de pain, deux plats de légumes par jour pour six heures de travail manuel sont encore en excès pour Bernard qui en fait trop en matière de jeûne et de privations. L'âme profite de tout ce qu'on retranche au corps, pense-t-il, justifiant ainsi ses mortifications. En conséquence, il contracte une grave maladie d'estomac dont il souffrira sa vie durant. Les six heures de sommeil coupées par l'office de nuit lui paraissent une perte de temps. Il va donc prendre sur ce temps pour écrire, prier. Il veut que rien ne le détourne du Seigneur, ni la vue – il garde les yeux baissés la plupart du temps, ni les oreilles – il lui arrive de les boucher avec de l'étoupe pour éviter toute distraction. Ce goût pour l'austérité se traduira dans le dépouillement des églises cisterciennes. « La sobre ivresse qui jaillit du dedans » ne nécessite pas l'appui d'une imagerie extérieure. Il critique les cloîtres sculptés aux décorations ornées de figures monstrueuses. Tout un superflu qui, à son sens, détourne l'esprit du moine de la méditation.

Affaibli, il n'est guère efficace dans les travaux des champs et on lui confie des tâches plus aisées, lavage des écuelles, rangement du bûcher. Un jour, comme la moisson presse, il n'arrive pas à manier la faucille et tombe à genoux, demandant au Seigneur de l'aider. Sur l'heure, il devient adroit et excellera toute sa vie à ce travail.

Le jour de ses vœux, il reçoit de Dom Etienne l'habit de laine blanche : « Que le Seigneur vous couvre de ce vêtement de salut ! » En prononçant « Amen », il rayonne de joie. Sa sainteté, déjà palpable, est très vite perçue par l'Abbé, Etienne Harding, qui le pense, malgré son caractère entier, voué à un grand destin qu'il se doit d'encourager. Bien sûr, Bernard n'accepte aucun compromis et son ardeur dans les prêches, sa rhétorique puissante ne laissent pas indifférents. On le craint ou on le suit...

On le suit de plus en plus et la porte du monastère ne cesse de s'ouvrir pour accueillir de nouveaux novices. Cîteaux devient trop étroit et l'Abbé se voit dans l'obligation de fonder une nouvelle abbaye. Hugues, comte de Troyes, offre une terre sur les bords de l'Aube. Qui en sera l'Abbé ? Dom Etienne désigne Bernard malgré l'opposition des moines plus âgés. Bernard a vingt-cinq ans, il est trop jeune, disent-ils. Qui plus est, il compte seulement deux ans de vie monastique. Etienne tient bon et donne à Bernard douze compagnons dont trois de ses frères, son oncle Gaudry et son cousin Godefroid. La petite troupe marche deux jours et atteint le 25 juin 1115 un vallon sauvage et isolé où coule un ruisseau. Bernard y plante la croix et les moines se mettent au travail pour bâtir une chapelle et les bâtiments réglementaires. La pauvreté y règne : les murs de la chapelle sont nus, le sol en terre battue, le dortoir minuscule. Mais l'Abbé a droit à une cellule. Il se trouve un réduit sous le toit où il ne peut se tenir debout... Il le gardera toute sa vie. Ces conditions de vie drastiques n'entament pas la joie des moines. Ils se plaisent pour louer Dieu dans cette claire vallée qui va donner son nom au monastère : Clairvaux.

Mais, sur le plan matériel, les débuts sont difficiles. Les moines souffrent de la faim, aucune récolte n'étant possible la première année. Ils mangent les fruits des hêtres et vivent des aumônes apportées par les gens d'alentour. Ils se plaignent à Bernard qui répond, sans les convaincre : « les âmes seules doivent entrer ici et les corps n'ont rien à y faire. » Découragés, ils demandent à rentrer à Cîteaux. Bernard se tourne alors vers Dieu qui suscite des dons miraculeux, du sel, de l'argent, pour acheter les denrées indispensables et sauver la communauté.

Il est temps pour l'Abbé de Clairvaux de recevoir le sacerdoce. C'est l'évêque de Châlons, Guillaume de Champeaux qui l'ordonne et deviendra son ami. Soucieux de sa santé, il l'obligera à se soigner avec un succès mitigé. Bernard est constamment malade, sujet à des vomissements fréquents. Il se prive parfois d'office pour ne pas incommoder ses frères. Mais le repos imposé par l'évêque lui fait du bien, les moines sont fervents, la réputation de Clairvaux grandit et l'Abbé, requis pour des prêches, commence à sortir du monastère. La flamme de sa foi est telle qu'elle convainc de nombreux jeunes gens à embrasser la vie monastique. Bientôt l'abbaye de Clairvaux prospère au point qu'elle doit essaimer à son tour. Ce seront les fondations de Fontaine, Fontenay et Foigny. Fontenay s'établit sur des terres données par un frère de Dame Aleth et elle reçoit pour Abbé, Godefroid, cousin de Bernard. Entretemps le père de Bernard, Tescelin et son jeune frère Nivard ont rejoint Clairvaux. Plus tard, Ombeline qui avait d'abord choisi le monde, viendra prendre conseil de son frère et entrera au monastère de Juilly où elle rejoindra sa belle-sœur Elisabeth.

L'ordre se développe et Etienne Harding voit la nécessité d'organiser la vie des abbayes tout en assurant la cohésion de l'ensemble. Aussi rédige-t-il une Charte de Charité, texte constitutionnel qui régit l'ensemble des monastères, établis tous égaux entre eux. Elle rappelle l'unité d'observance de la Règle de Saint Benoît, organise la vie quotidienne et la discipline commune à tous. Chaque abbaye conserve une grande autonomie, notamment financière. Les Abbés sont élus et gouvernent le monastère comme ils l'entendent. Mais ce dernier dépend toutefois de l'abbaye-mère qui l'a fondé. Celle-ci dispose d'un droit de regard, son Abbé visitant chaque année l'abbaye « fille ». Enfin Etienne Harding crée un Chapitre Général, organe suprême de contrôle qui réunit chaque année tous les Abbés de l'Ordre. Les décisions qui y sont prises sont rapportées dans des registres appelés statuta, instituta et capitula. Il résulte de cette organisation une union et un réel esprit de famille présent dans toutes les abbayes cisterciennes.

Ainsi Clairvaux, abbaye-mère de ses trois premières fondations va essaimer encore bien davantage. Mais Bernard ne veut pas attirer que des religieux vers le Seigneur. Il entend s'adresser aussi aux laïcs et il n'hésite pas à prêcher partout où l'on fait appel à lui. Que dit-il ? Il propose la perfection à tous. Il leur demande d'être justes et bons pour les pauvres. « Ne portez pas sur vous le pain des malheureux » dira-t-il en faisant allusion à de riches vêtements. A tous, il conseille de prendre soin de leurs voisins, de partager leur pain avec eux, de leur rendre des services. Il dénonce fautes et erreurs, en bon chien de garde du Seigneur comme dame Aleth l'avait rêvé. Il dénonce tous les travers et les décrit avec humour comme l'allure de ces coquettes qui marchent « à pas rompus, le cou allongé... » Il se moque de la table de certains prélats : « le fromage charge l'estomac, les choux entretiennent la mélancolie, les poireaux allument la bile... » A un jeune savant qui tient à ses études et que sa réputation empêche de se faire moine, il dit : « Que vous restera-t-il de tout cela ? Un souvenir ? Mais de votre palefroi aussi, quand il sera mort, on dira : c'était un bon cheval ! »

Ce saint ne fait pas de cadeaux... Apôtre du Christ, il dit qu'il faut parfois « être cruel pour le Christ. » Et cette attitude paye... Sa renommée ne fait que croître et bientôt on lui attribue des guérisons miraculeuses. Pour sa part, il ressent douloureusement certains échecs comme le départ à Cluny de Robert, son cousin qui trouve trop dure la règle cistercienne. Cette défection souligne une fois de plus la rivalité entre moines blancs et noirs, la sainteté des premiers apparaissant comme un reproche au relâchement des seconds. Pire encore, des religieux de Cîteaux critiquent ouvertement les Bénédictins. L'Abbé de Cluny riposte et les traite de pharisiens. Bernard intervient alors en rédigeant un traité, l'Apologie à Guillaume de Saint-Thierry. Ce dernier, ancien moine bénédictin devenu cistercien est un ami de Bernard et aurait souhaité vivre auprès de lui à Clairvaux. Mais Bernard a estimé que Guillaume devait conduire les âmes que la Providence lui confiait. Ce moine théologien et mystique avait donc été élu Abbé d'un monastère près de Reims et c'est sur sa demande que Bernard rédige son Apologie. Ce traité dénonce les erreurs de ses frères cisterciens. Il est aussi une critique ouverte contre les mœurs des moines noirs : leur manque de ferveur, leur riche nourriture, le luxe de leurs églises consenti au détriment des pauvres et si peu favorable au recueillement, tout y passe. La lecture de ce traité irrite les moines noirs mais ils ont pour Abbé un saint homme, Pierre le Vénérable. Celui-ci ne se montre pas hostile au texte de Bernard. A tel point qu'il entreprend de réformer ses monastères.  Une amitié va grandir entre lui et Bernard qui durera toute leur vie. 

L'Apologie ne va pas être non plus du goût de Suger, principal ministre des rois Louis VI et Louis VII le Jeune, Abbé de Saint-Denis. Il a fait construire la Basilique de Saint-Denis, richement ornementée, qui s'oppose totalement au style épuré de Clairvaux. Une polémique va s'ensuivre, Bernard et Suger défendant chacun sa conception des bâtiments dédiés au Seigneur. Le premier va vers un dépouillement de tout ce qui encombre l'âme. Le second prône une richesse d'ornementation toute à la louange du Seigneur. Cela dit, Suger restera toute sa vie humble et austère. Il réformera son monastère en ce sens et Bernard ne s'y trompera pas. Il saura l'en féliciter et tous deux deviendront amis.

L'impétuosité de Bernard, ses attaques écrites ou verbales ne doivent pas occulter son âme tendre et généreuse. Il aime d'abord qui il châtie et nombreux sont ceux qui ne s'y trompent pas. C'est même parce qu'il aime d'abord qu'il tient un langage souvent très dur. Il voudrait tant que pas un seul de ces petits ne soit perdu pour le Seigneur. Alors il prie, tourné vers son étoile, la Vierge Marie, pour qui il a une dévotion particulière au point que toutes les églises cisterciennes sont dédiées à Marie. Il va chercher à développer le culte marial dans tout l'Occident. Sa dévotion filiale est telle qu'il est parfois représenté sur des tableaux buvant le lait de la Vierge Marie. Sa dureté apparente a pour seul objet de combattre l'inertie de ses contemporains. Elle voile à peine un immense élan du cœur, tourné vers le pardon. Bernard prêche avant tout une religion d'amour.

Saint Bernard n'a cessé de composer des prières à la Vierge Marie. L'une d'elles, le Souvenez-Vous, prière d'intercession, est connue de la plupart d'entre nous. Nous vous proposons aujourd'hui de la réciter ensemble et les uns pour les autres.

Souvenez-vous, ô très miséricordieuse Vierge Marie, qu'on n'a jamais entendu dire qu'aucun de ceux qui ont eu recours à votre protection, imploré votre assistance ou réclamé vos suffrages ait été abandonné. Animé de cette confiance, ô Vierge des vierges, ô ma Mère, je viens vers vous et, gémissant sous le poids de mes péchés, je me prosterne à vos pieds. Ô mère du Verbe incarné, ne méprisez pas mes prières mais écoutez-les favorablement et daignez les exaucer, Amen.

Je vous salue, Marie...

Prière de la communauté

Je vous salue Marie

Je vous salue Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus le fruit de vos entrailles est béni. Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort. Amen.

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4 commentaires

Que vos paroles soient toujours bienveillantes, qu’elles ne manquent pas de sel, vous saurez ainsi répondre à chacun comme il faut. Col 4 : 6

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