L'acédie

                           Qu'est-ce que l'acédie ?                                                 

                           Nos sociétés, marquées par l'instabilité, l'incapacité de tenir des engagements, la perte de sens et la désespérance, souffrent en réalité de ce que la tradition monastique appelle l'acédie. Elles sont invitées, pour en guérir, à redécouvrir la saveur de Dieu, l'élan du désir, la persévérance et la fidélité qui conduisent à la vraie joie.         

« Acédie » est l'équivalent français du mot grec « akèdia », qui veut dire « manque de soin». Chez les philosophes grecs, il s'agissait du manque de soins pour les morts, du fait de ne pas enterrer les morts, attitude qui apparaissait totalement inhumaine. Au IVe siècle,  les Pères du désert ont utilisé ce terme pour désigner le manque de soin pour sa vie spirituelle

                                                                                                               

« Acédie » est un mot grec qui veut dire « manque de soin »

Il faut, pour commencer, donner l'étymologie de ce mot « acédie », car cela dit peu de choses à nos contemporains. Le mot « acédie » vient d'un mot grec, akèdia, qui est formé de deux parties : le premier « a », qui est un alpha en grec, est une privation, donc « manque de » ; et kèdos, qui veut dire « le soin ». Donc « manque de soin ».

Chez les philosophes grecs, il s'agissait du manque de soin pour les morts, du fait de ne pas enterrer les morts, attitude qui apparaissait totalement inhumaine

A l'origine, ce manque de soin était, chez les philosophes grecs (avant même la période chrétienne), le manque de soin pour les morts, c'est-à-dire le fait de ne pas enterrer ses morts. Or, le manque de soin pour les défunts est une caractéristique essentielle de déshumanisation : seuls les humains enterrent leurs morts ; les animaux ne le font pas. Donc le fait de ne pas enterrer ses morts est déjà quelque chose de particulièrement contraire à la condition humaine.

Les Pères du désert christianisent le terme en s'en servant pour désigner le manque de soin pour sa vie spirituelle

À l'époque chrétienne, en particulier avec Évagre le Pontique, l'un des grands Pères du désert, va apparaître une nouvelle signification ; dans un contexte chrétien, c'est toujours le manque de soin – puisque le mot veut dire cela – mais cela ne va plus être le manque de soin pour ses morts, cela va être le manque de soin pour sa vie spirituelle, le manque de soin pour son salut : ne plus se préoccuper de sa vie spirituelle ni de son salut. Voilà pour l'origine.

Il est préférable de ne pas traduire ce mot, car toutes les traductions que l'on peut en donner sont toujours un peu réductrices

Le mot « acédie » possède en lui-même une plénitude de sens, une densité que ne pourra jamais rendre une traduction. C'est pour cela que la tradition spirituelle, jusqu'à une époque récente, ne l'a jamais traduit. Actuellement, on le traduit souvent par « paresse », mais c'est très réducteur ; ou encore par « tristesse », « mélancolie », qui sont aussi une réduction. Il vaut mieux garder le terme d'« acédie » ; on va essayer d'expliquer un peu ce que c'est et, en particulier, pourquoi il ne se comprend que dans un contexte de relation à Dieu.

                                    

Dans le milieu chrétien, le premier à en parler est Évagre le Pontique, l'un de ces Pères du désert, qui va synthétiser et mettre en forme toute la tradition du désert, initiée par saint Antoine, le Père des moines. Évagre développe sa doctrine à partir du récit biblique de l'Exode, qui symbolise notre itinéraire spirituel : de même que le peuple d'Israël, avant d'entrer en Terre promise, a dû affronter sept nations ennemies (selon Deutéronome 7,1), sans parler de l'Égypte qu'il avait fuie, de même nous devons affronter, dans notre vie spirituelle, huit mauvaises pensées. Parmi ces huit mauvaises pensées identifiées, l'acédie, le « démon de midi », est décrite comme particulièrement dangereuse, car elle se trouve à la frontière entre le charnel et le spirituel.


Parmi les huit mauvaises pensées identifiées, l'acédie « démon de midi » est décrite comme particulièrement dangereuse, car elle se trouve à la frontière entre le charnel et le spirituel

L'acédie est présentée comme particulièrement compliquée, complexe (Évagre l'appelle d'ailleurs « la pensée complexe »). Pourquoi ? Parce que l'acédie se trouve à la frontière entre le charnel et le spirituel. Il se trouve que l'acédie est, selon Évagre, ce fameux « démon de midi », ce démon qui attaque le moine – on est toujours dans le désert d'Égypte – entre 10 heures du matin et 2 heures de l'après-midi, à un moment où il fait extrêmement chaud et où le soleil est au zénith, c'est-à-dire où le temps semble ne pas avancer : le matin, on voit l'ombre qui se lève, le soir on voit l'ombre qui se couche ; à midi, on a l'impression que plus rien ne bouge et que la journée ne finira jamais. Et le midi, c'est aussi le moment qui précède immédiatement le repas : les moines, en effet, ne mangeaient qu'une seule fois par jour, à 15 heures. Donc entre 10 heures et 14 heures, cela fait presque vingt-quatre heures qu'on n'a pas mangé et on a une faim de loup. Et il y a une espèce de fragilité, de faiblesse corporelle, dont le démon va se servir pour venir attaquer au niveau spirituel, c'est-à-dire au niveau de la relation à Dieu, et va provoquer deux choses qui, là encore, touchent la condition humaine (c'est vraiment le démon de la condition humaine), à savoir : la sensation d'être à l'étroit et la difficulté à persévérer, à durer. On voit donc commet l'acédie touche à la fois la dimension spatiale et la dimension temporelle de notre vie ; elle touche vraiment notre condition incarnée.

 

L'époque moderne a oublié l'acédie parce qu'elle est devenu légaliste et qu'elle a perdu l'amour de Dieu et le dynamisme de sa recherche. Pourtant, on peut dire que l'acédie est, d'une certaine manière, le mal de notre temps. L'acédie est née dans le monde monastique, mais ce mal n'est pas réservé aux moines, loin de là ! Nos sociétés sont profondément acédiaques : quand on n'arrive plus à vivre la vocation divine, on se tourne naturellement vers ce qui est attirant et atteignable, on rabaisse l'objet de son désir et on est incapable de tenir ses engagements, comme les hommes et femmes de notre temps.


Désormais, on cherche seulement à être en règle ; on perd le dynamisme de la recherche de Dieu et de la sainteté. Du coup, l'acédie n'est plus comprise et on l'oublie 


Tout le dynamisme de la rencontre avec Dieu, de la perfection de la charité n'a plus de place dans ce nouveau système ; l'acédie – qui était cette paralysie du dynamisme de l'agir à la rencontre de Dieu – n'a plus lieu d'être ; le mot même d'« acédie » va disparaître et va être remplacé par deux autres notions : dans le domaine de la littérature, l'acédie sera remplacée par la « mélancolie », c'est-à-dire une espèce de complaisance dans la tristesse, dans le spleen (dans la période romantique, l'éloge du cafard) ; dans le domaine moral, l'acédie sera remplacée par la « paresse ». On voit comment ces deux notions, mélancolie et paresse, sont très réductrices par rapport à la densité de sens que comportait l'acédie.

Finalement, la mélancolie et la paresse ne sont que la déviation des deux définitions de saint Thomas dans un cadre où Dieu n'est plus au centre

Si on oublie la référence à Dieu et le dynamisme spirituel, la tristesse va devenir « mélancolie » , et la paralysie de l'agir va devenir simple « paresse ». Voilà pourquoi, jusqu'à une époque récente, on avait la paresse dans la liste des péchés capitaux ; et voilà pourquoi on trouvera, en littérature, une espèce de complaisance dans la mélancolie, le cafard, qui n'est qu'un reliquat extérieur de l'acédie.

               

  • Il faudra attendre ces dernières années pour que le Catéchisme de l'Église catholique remette, il y a un peu plus de vingt ans, l'acédie dans la liste des péchés capitaux. 

    À l'époque moderne (XIXe siècle..), on va parfois garder le mot « acédie », mais on va la concevoir simplement comme une distraction dans la prière, ce qui est très réducteur par rapport au sens plénier que lui donnait saint Thomas, c'est-à-dire le péché contre l'Esprit, quelque chose qui vient briser de façon radicale et très périlleuse notre salut éternel.

    Dernière petite chose : si cette acédie est née dans le monde monastique, elle n'est pas réservée aux moines, loin de là !

    L'acédie va pouvoir toucher tous les états de vie : la vie monastique, bien sûr, mais aussi la vie sacerdotale. Pensons aux prêtres surchargés, qui ont l'impression que leur ministère n'est pas fécond, qui n'ont que trois ou quatre personnes à la messe, qui ont du mal à persévérer dans leur état de vie, ou qui trouvent des compensations à leur solitude affective. Mais l'acédie peut aussi toucher les couples : la cellule monastique est vite transposable à la cellule conjugale ou familiale ! On va trouver toutes sortes de compensations possibles à l'extérieur, tous les bons prétextes pour s'engager dans sa paroisse, dans son travail, dans le sport, pour finalement fuir le lieu du combat qui est la vie conjugale ou familiale. Mais l'acédie peut aussi toucher les célibataires : pour eux, c'est sans doute l'impression de non fécondité qui va apparaître : ils peuvent avoir l'impression que leur vie n'a pas de sens. Il leur faut alors retrouver l'importance d'une fécondité spirituelle, qui dépasse la fécondité charnelle. Même si le célibat n'est pas choisi au départ, il leur faudra, un jour, entrer dans une démarche de consentement et de choix profond.

                                                                                                                                            

Le péché d'acédie est dangereux car il se cache et on le méconnaît. La vraie solution est une sortie de soi, un décentrement de soi-même. Voilà ce que sera notre vie dans l'éternité et c'est ce qui nous conduit à la vraie joie, dès maintenant


Le mot de la fin est lié à la joie, car l'acédie est avant tout un péché contre la joie 

Évagre avait bien dit que l'acédie, lorsqu'on était fidèle, se terminait par un état de joie. Saint Thomas d'Aquin a bien montré que l'acédie est un péché contre la joie. En réalité, la solution n'est pas de sortir extérieurement de son monastère, de sa cellule, de son couple, de sa vie de prêtre ; elle n'est pas de pousser les murs et de trouver des compensations en s'éparpillant, en se divertissant.

La vraie solution est une sortie de soi, un décentrement de soi-même 

C'est cela, la joie : ne plus se regarder, être capable de s'ouvrir à l'autre, à Dieu. Tel est le changement radical : ce n'est plus une sortie extérieure, mais cela devient une « extase », une sortie de soi ; non pas un moment d'ivresse, mais un radical décentrement de soi qui va être un critère qui ne trompe pas et qui va permettre, dans notre vie quotidienne, de retrouver ce bonheur anticipé dès ici-bas par la prière, par la foi, par les sacrements, par la vie de charité, par l'attention aux plus pauvres. Retrouver déjà ce vrai bonheur est possible, car la vie de Dieu est elle-même décentrement de soi. Dieu, en sa propre vie, n'est qu'altérité, ouverture ; chaque personne divine est totalement désappropriée d'elle-même et totalement ouverte aux deux autres.

Telle sera notre vie dans l'éternité. 

Nous pouvons, dès à présent ici-bas, vivre ce bonheur qui sera notre vie éternelle, par un radical décentrement de nous et une désappropriation de nous-mêmes. Voilà le secret de la joie !

Quand on n'arrive plus à voir notre vocation à rejoindre Dieu, on se tourne alors vers ce qui est attirant et atteignable, on rabaisse notre objet de notre désir : c'est vraiment le monde moderne...


Le démon de midi, l'acédie, est « le mal obscur de notre temps ». Pourquoi « le mal obscur » ? Parce que le propre de l'acédie, c'est qu'on ne la voit pas. Comme le disait très finement Évagre, à midi on ne se méfie pas, donc on ne se rend pas compte qu'on est dans l'acédie. Et le propre de l'acédie, c'est qu'elle touche des personnes qui ne se rendent pas compte qu'elles sont touchées. C'est son côté redoutable : des petites infidélités toutes simples, au départ, nous conduisent petit à petit très loin. Je pense que c'est le mal de notre temps 

Nous sommes tous dans une société acédiaque, dans un monde pris par l'acédie avec l'incapacité de tenir les engagements

C'est le zapping permanent : on passe son temps à passer d'un truc à l'autre, on ne persévère plus, on ne finit pas ce qu'on a commencé, on est dans une recherche effrénée de sensationnel, de nouveauté... Et on a du mal à retrouver la nouveauté de la Parole de Dieu, la nouveauté de l'annonce de ce Dieu qui nous déconcertera toujours. Ce Dieu-là est vraiment nouveau. Il est la vraie nouveauté, il est le secret de notre joie 

 Dom Jean-Charles Nault Bénédictin, Père Abbé de Saint-Wandrille (Seine-Maritime) - Docteur en théologie (Latran)

Les Écritures sont là pour notre instruction, suivons l'exemple de David et nous obtiendrons assurément la délivrance de l'acédie et de tous les vices à sa suite aux conséquences désastreuses. Le coeur alors purifié et rempli de l'amour de Dieu, il n'y reste plus de place pour l'acédie ni aucun autre péché.

Il s'agit ensuite d'entretenir la plénitude de Dieu par la prière continuelle et la méditation de sa Parole (eh oui, ça prend de l'effort et de la discipline qu'on n'a pas en nous-mêmes mais qu'on peut aussi demander à Dieu, cf. Ph.2:13). Après tout, on fait bien des efforts pour se laver, se nourrir, travailler, toutes des choses essentielles, mais combien plus important le soin à apporter à notre âme. Si on la néglige, c'est l'acédie qui se pointe à nouveau et l'histoire de David sur le toit va se répéter dans notre vie à la sauce du XXIe siècle et il a des sortes de sauces pour tous les goûts déplacés, Satan a son équipe de cuistots démoniaques qui y bossent 24 heures sur 24 ...

A toi, Eternel, 

la grandeur, la force et la magnificence,

 l'éternité et la gloire, 

car tout ce qui est au ciel et sur la terre t'appartient; 

à toi, Eternel, 

le règne, 

car tu t'élèves souverainement au-dessus de tout !


Prière de la communauté

PRIERE D'INVOCATION A LA SAINTE CROIX

Dieu Tout-Puissant qui avez souffert la mort sur l'arbre patibulaire pour tous nos péchés, Soyez avec moi, † Sainte Croix de Jésus-Christ, Ayez pitié de moi, † Sainte Croix de Jésus-Christ, Soyez mon espoir, † Sainte Croix de Jésus-Christ, Repoussez de moi toute arme. † Sainte Croix de Jésus-Christ, Versez en moi tout bien, † Sainte Croix de Jésus-Christ, Détournez de moi tout mal. † Sainte Croix de Jésus-Christ, Faites que je parvienne au chemin du salut. † Sainte Croix de Jésus-Christ, Repoussez de moi toute atteinte de mort. † Sainte Croix de Jésus-Christ, Préservez moi des accidents corporels et temporels. Que j'adore la Sainte Croix de Jésus-Christ à jamais ! Jésus de Nazareth crucifié, Ayez pitié de moi, Faites que l'Esprit malin et nuisible fuie de moi ! Dans tous les siècles des siècles, Ainsi soit-il ! En l'honneur du sang précieux de Notre Seigneur Jésus-Christ, en l'honneur de Son Incarnation, par où Il peut nous conduire à la Vie éternelle, aussi vrai que Notre Seigneur Jésus Christ est né le jour de Noël et qu'Il a été crucifié le Vendredi Saint. Amen

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2 commentaires

Que vos paroles soient toujours bienveillantes, qu’elles ne manquent pas de sel, vous saurez ainsi répondre à chacun comme il faut. Col 4 : 6

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