Jusqu'au cœur (semaine 3)

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Évangile : Entretien avec la Samaritaine (Jn 4)


« En ce temps-là, Jésus arriva à une ville de Samarie, appelée Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph. Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s'était donc assis près de la source. C'était la sixième heure, environ midi. Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l'eau. 

Jésus lui dit : “Donne-moi à boire.”[…] La Samaritaine lui dit : “Comment ! Toi, un Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ?” […] Jésus lui répondit : “Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c'est toi qui lui aurais demandé, et il t'aurait donné de l'eau vive.” La femme lui dit : « Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n'aie plus soif, et que je n'aie plus à venir ici pour puiser. […]

Jésus lui dit : “Femme, crois-moi, l'heure vient où vous n'irez plus ni sur cette montagne, ni à Jérusalem pour adorer le Père.  […] Mais l'heure vient – et c'est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité.”»

 

La méditation de la semaine : un chemin d'intériorité 


Nous avons contemplé le Seigneur transfiguré sur le Tabor puis nous l'avons suivi, comprenant que c'est en marchant à sa suite que nous parviendrons de manière sûre au but de notre voyage, la montagne du Carmel. Mais la route est longue. Jésus est fatigué et nous commençons à ressentir la soif. Comme le peuple au désert, nous sommes tentés de nous plaindre auprès du Christ : « Donne-nous de l'eau, que nous buvions ! » (Ex 17,2) Heureusement nous nous arrêtons auprès d'une source, en Samarie.


  • La quête d'une source

Nous pouvons aisément nous retrouver dans la quête de cette anonyme qui vient chercher de l'eau en plein midi. Cette femme qui a multiplié les liaisons amoureuses est en quête de dignité, tout en étant probablement désabusée par la vie et le mépris des hommes. Nous pouvons de même être parfois déçus par l'existence, tentés par le fatalisme, tout en attendant quand même secrètement un évènement qui changera notre vie. Cet évènement, c'est la rencontre avec Jésus.

Jésus se place devant cette femme, et donc devant nous, en situation de dépendance : « Donne-moi à boire. » Habile manière de démonter l'ensemble des préjugés religieux et culturels qui rendaient cette rencontre entre un homme juif et une femme samaritaine impossible. Mais Jésus franchit les frontières et s'abaisse pour nous toucher ; il fait céder nos résistances marquées par la peur ou le mépris de l'autre. Il nous rend capables de lui donner. Etonnement : moi, je suis capable de donner quelque chose à Jésus ! « Donne-moi à boire. » Mais où vais-je donc lui trouver de quoi lui donner ? Où donc est cette source qui pourrait abreuver le Seigneur ? Saint Jean de la Croix vient ici à notre aide avec son magnifique poème de La Source (trad. J. Ancet). Il sait où se trouve cette source cachée : 

Je sais bien la source qui coule et fuit,
malgré la nuit
Cette éternelle source bien est cachée
moi je sais bien le lieu d'où elle surgit
malgré la nuit

Jean a composé ce poème alors qu'il était en prison à Tolède ; le seul bruit qu'il entendait quand la ville s'endormait était le flot du Tage qui coulait au pied du couvent des carmes. Dans la nuit, il distinguait un signe de vie à travers cet écoulement continu. Rappel ténu de la présence cachée de Dieu, au sein même de l'épreuve de l'échec complet. Cette source, Jean la discerne particulièrement dans le sacrement de l'Eucharistie comme le révèle la fin du poème :

Cette éternelle source elle est enfouie
en ce pain vif pour nous donner la vie
malgré la nuit

Dans la Montée du Carmel, Jean oriente notre recherche de la source vers le dedans. L'eucharistie reçue dans la communion nous entraîne vers les profondeurs de notre cœur… C'est là que réside la source que nous cherchons…


  • A l'intérieur, au-delà du ressenti

Nous voyons dans l'évangile comment Jésus s'y prend pour éveiller le désir spirituel de cette femme. Il déploie une véritable pédagogie de l'intériorité : la soif matérielle lui permet d'évoquer la soif secrète de la Samaritaine, sa recherche d'un amour sûr et fiable qui lui confère dignité et respect. Cette femme va ainsi se découvrir elle-même en profondeur, grâce au Seigneur, parce qu'elle accepte de se regarder en vérité. Ainsi dans la vie spirituelle, Dieu nous éduque et nous guide pour que nous le cherchions non pas au-dehors de nous-même, mais au-dedans. Le chemin spirituel est une voie d'intériorisation qui nous conduit vers les profondeurs de notre être : c'est là que nous rencontrons Dieu en vérité en même temps que nous nous trouvons nous-même. Le cœur profond est ainsi à la fois le lieu de notre plus grande intimité, le sanctuaire de notre conscience, mais aussi l'espace où Dieu demeure. Ainsi plus je me fais proche de Dieu en moi, plus je deviens vraiment moi-même.

C'est donc toute une aventure intérieure et saint Jean de la Croix dévoile magnifiquement la pédagogie divine par laquelle le Seigneur nous entraîne progressivement vers notre cœur, en nous invitant à nous défaire des apparences extérieures. Dans le chemin de la prière, si Dieu donne souvent des grâces sensibles au début, celles-ci disparaissent au fur-et-à-mesure. Cela peut nous troubler et nous pouvons alors mal réagir : soit, en nous disant que la prière n'apporte plus de plaisir et qu'il vaut mieux arrêter ; soit, en pensant que nous n'avançons pas dans la vie chrétienne puisque nous ne ressentons plus rien. La première réflexion manifeste une forme de repli sur soi et doit nous interroger : prions-nous pour nous faire plaisir ou pour rencontrer le Seigneur et mieux aimer le prochain ? Si c'est pour aimer Dieu et le prochain, il ne faut pas nous arrêter à notre plaisir. La deuxième pensée est une erreur de jugement : notre maturité spirituelle ne dépend pas de ce que nous « sentons » dans la prière. Au contraire, Jean de la Croix affirme que Dieu fait exprès de ne plus nous donner autant de grâce sensibles : c'est pour que nous grandissions et devenions des adultes dans la foi. Un bébé spirituel a le droit à de multiples consolations sensibles. Un adulte trouvera sa consolation plus en profondeur, en se défiant quelque peu de ce qu'il sent ou ne sent pas. L'important est de vivre la prière au niveau de la foi et non du seul ressenti.


  • La conduite de Dieu vers le centre

« Dieu conduit l'âme de degré en degré jusqu'au plus intérieur. (…) C'est ainsi que Dieu va éduquant l'âme et la spiritualisant, lui communiquant les choses spirituelles à partir des choses extérieures, palpables et accordées au domaine sensible, selon la capacité restreinte et limitée de l'âme. » 
(II MC 17, 4)

Dieu nous prend là où nous sommes mais nous entraîne plus loin. Prenons une comparaison avec le vin : comment faire apprécier un grand cru à quelqu'un qui ne sait pas faire la différence entre un vin de table et un vin de grande qualité ? Il faut éduquer peu à peu son palais (cf. Vive Flamme 1, 5). Analogiquement, dans la vie spirituelle, Dieu éduque notre sensibilité en la réformant, en la convertissant. Notre sensibilité doit vivre une expérience de mise à distance et de vide pour que s'éveille en nous une sensibilité plus profonde et spirituelle. Une fois cette sensibilité plus profonde éveillée, nous ne goûterons plus les grâces de Dieu de la même façon. Nous ne prierons plus de la même manière : la prière deviendra plus simple et dépouillée de raisonnements et d'impressions.

« Ainsi, à mesure que l'esprit intensifie sa relation avec Dieu, l'âme se dépouille et se vide des manières propres au domaine des sens qui sont le raisonnement et la méditation à l'aide d'images. (…) Quand on vient de goûter la saveur de l'esprit, on trouve toute chair insipide ; c'est dire que tout ce qui vient de la chair n'apporte plus de profit et ne peut plus satisfaire le goût. » (II MC 17, 4)

Quelqu'un qui a goûté un Saint-Emilion n'appréciera plus le vin de table qu'il appelait avant du grand vin… Celui qui affine sa relation à Dieu éprouvera moins le besoin de sentir des choses dans la prière. La mise à distance de notre sensibilité dans la vie spirituelle nous donne donc plus de liberté pour avancer. Nous ne faisons plus dépendre la qualité de notre vie de prière de notre ressenti. Il ne s'agit pas de le rejeter mais de le situer à sa juste place. Nous savons dans la foi que Dieu agit quand nous lui donnons du temps et cela suffit. C'est le signe que nous avons grandi dans la vie spirituelle. Si nous nous représentons comme la coupe d'un arbre, nous dirons avec Jean de la Croix que nous ne vivons plus au niveau de « l'écorce » de notre sensibilité (partie la plus extérieure) mais au niveau plus intérieur de l'esprit pour nous rapprocher de notre cœur profond où Dieu demeure.


  • Les moyens du recueillement pour adorer en esprit et vérité

Pour avancer sur ce chemin d'intériorité, il faut choisir les moyens appropriés. Jean de la Croix affirme qu'il est normal au début de la vie spirituelle de s'appuyer sur des lieux porteurs pour nous aider à rejoindre le Seigneur. Mais il convient de veiller à ce que nous ne nous attachions pas davantage aux lieux eux-mêmes qu'à la présence du Seigneur elle-même. Il importe de choisir des endroits porteurs pour notre vie de prière et non pour notre plaisir visuel.

« Bien qu'il soit meilleur de prier dans le lieu le plus convenable, on doit, malgré cela, choisir le lieu où la sensibilité et l'esprit seront le moins encombrés pour aller vers Dieu. À ce sujet, il convient de nous servir de la réponse que fit notre Sauveur à la Samaritaine qui lui demandait quel était le lieu le plus favorable pour prier, le temple ou la montagne ; il lui répondit que la véritable prière n'était pas liée à la montagne ni au temple, mais que les adorateurs agréables au Père étaient ceux qui l'adoraient en esprit et en vérité (Jn 4, 23-24).

Par conséquent, bien que les temples et les lieux tranquilles soient destinés et adaptés à la prière, pour une relation d'amitié aussi intérieure que celle qui s'établit avec Dieu on doit choisir l'endroit qui attire et occupe le moins le sensible. (…) C'est pourquoi, afin de nous donner l'exemple, notre Sauveur choisissait d'ordinaire, pour prier, des lieux solitaires (Mt 14, 23) et ceux qui n'accaparaient guère les sens mais qui élevaient l'âme vers Dieu, comme le sont les montagnes qui s'élèvent de terre et sont habituellement dépourvues de ce qui peut distraire les sens (Lc 6, 12). (…)

L'Apôtre nous en avertit en disant : Considérez que vos corps sont des temples vivants de l'Esprit-Saint qui demeure en vous (1 Co 3, 16). Cela nous renvoie à la citation du Christ : pour les vrais adorateurs, il convient d'adorer en esprit et en vérité (Jn 4, 24). » (III MC 39-40)

Veillons donc cette semaine à intensifier notre soif spirituelle et à chercher Dieu non pas dans des murs mais au centre de nous-même. Et là, dans notre cœur, adorons-le en esprit et en vérité.

fr. Jean-Alexandre de l'Agneau, ocd (couvent d'Avon)

Les trois pistes de mise en pratique de la semaine


  1. Quelle est l'image qui me parle le plus de ma soif spirituelle ?
  2. Je prends le temps de regarder les lieux où je prie habituellement : m'aident-ils à m'intérioriser ? Serais-je prêt(e) à en changer ?
  3. Quelle place est-ce que j'accorde au ressenti dans ma prière ? Comment puis-je grandir dans la foi ?

Prière de la communauté

poème de Jean de la Croix (une nuit obscure)

I. Dans une nuit obscure, D'ardents désirs embrasée, Oh ! l'heureuse aventure ! Je sortis sans être remarquée, Ma maison étant apaisée. II. À l'obscur et très sûre, Par l'échelle secrète, déguisée, Oh ! l'heureuse aventure ! À l'obscur et cachée, Ma maison étant apaisée. III. En cette nuit bienheureuse, En secret, car nul ne me voyait, Ni moi, rien je ne regardais Sans autre lumière pour guide Que celle qui en mon cœur brûlait. IV. Celle-ci me guidait, Plus sûre que celle de midi, Là où m'attendait Celui que, moi, je connaissais, En un lieu où nul ne paraissait. V. O nuit qui m'as guidée, O nuit plus aimable que l'aurore, O nuit qui as uni Le Bien-Aimé avec l'aimée, L'aimée en son Bien-Aimé transformée ! VI. Sur mon cœur couvert de fleurs, Qui se gardait, entier, pour lui seul, Là, il resta endormi Et moi, je le caressais, de l'éventail des cèdres l'air venait. VII. Le souffle qui venait du créneau, Quand je lui caressais les cheveux, De sa douce main A mon cou me blessait, Et tous mes sens saisissait. VIII. Je restai là, je m'oubliais, Le visage penché sur le Bien-Aimé. Tout cessa et je cédai, Abandonnant mon souci, Parmi les lis, oublié.

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10 commentaires

Que vos paroles soient toujours bienveillantes, qu’elles ne manquent pas de sel, vous saurez ainsi répondre à chacun comme il faut. Col 4 : 6

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Carême 2020 avec Saint Jean de la Croix

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