"L'abbé, jugé digne d'être à la tête du monastère, doit toujours se rappeler le titre qu'on lui donne et par ses actes, faire droit au nom de "supérieur" car on croit qu'il tient au monastère la place du christ dont il porte le titre"

      Dans ce chapitre 2 sur "les qualités requises de l'abbé" nous touchons le fondement théologique de cette paternité spirituelle qui fait de l'abbé le "représentant du christ". Mais ne tombons pas dans la simplification car cet extrait nous demande une double approche :

a) en tant qu'homme, élu à la majorité de ses pairs, moine ou moniales, il n'échappe pas à l'appréciation humaine et spirituelle de ses qualités qui lui ont permis d'être coopté. Mais c'est son enseignement et sa doctrine, inspirées de la Règle, qui lui permettront de se hisser à une dimension spirituelle. Il a été choisi en qualité d'un homme parmi ses frères, et il est incité, dès son élection, à se mettre, en esprit dans le rang de supérieur, dès qu'il endosse l'abbatiat. On  est sur deux registres distincts.

b)Dans cette deuxième acception de sa dimension, l'abbé est invité à s'effacer pour donner un enseignement et des ordres pour que le Christ apparaisse seul et véritable Maître. C'est bien le Christ qui conduit alors son esprit adapté à sa communauté et en fonction de sa personnalité qui devient le calque de ses frères : ainsi on peut dire que la communauté a l'abbé qu'elle mérite et inversement la communauté contribue quotidiennement à façonner son abbé. . Mais  l'appel à la  sainteté oblige le dépassement de ce clivage et peut conduire l'abbé à conduire sa communauté sur des voies inspirées par Dieu seul !

     Ces deux interactions ne sont pas visibles mais proviennent d'un travail discret de l'Esprit Saint. St Benoît décrit par ailleurs l'abbé dans un rôle de "service" : le service ne prend sa vraie dimension que s'il répond aux besoins de celui dont on prétend s'occuper.

      En tant que laïcs, il nous faut alors renoncer à des analyses par trop humaines : on risquerait de projeter sur l'abbé nos attentes, nos griefs, nos révoltes devant toute personne instituée dans un ordre d'autoritéOn reviendrait alors à vouloir régler nos complexes éducatifs ou parentaux. Pour bien situer la place et le rôle de l'abbé, et par conséquence pour accéder aux grâces que peut cacher l'observation de la Règle de st Benoît il nous faut développer un esprit de profonde union et communion avec la Règle pour entrevoir alors l'abbé non sur un quelconque mérite personnel mais comme une mission, une charge, reçue en vue d'un bien supérieur qui le dépasse.  Sinon on aboutirait vite à considérer sa mission impossible, parasitée de toutes parts et exposée aux critiques.

      Pour entrer dans cette dimension il nous faut passer de la méfiance à l'absence de critiques et regarder comme une grâce de la miséricorde divine, qui s'abaisse jusqu'à nous et qui rend possible l'évolution spirituelle mais aussi psychologique et matérielle d'une abbaye. Si le doute et le soupçon disparaissent alors Dieu pourra agir envers nous par l'intermédiaire de l'abbé, dans les rapports que nous entretiendrons. En effet, reliés à une communauté monastique par la poursuite de sa Règle, nous ne pouvons pas nous dispenser d'avoir à résoudre et à estimer de notre place, le rôle de l'abbé.

     Sur ce sujet ,comme sur beaucoup d'autres points de la Règle l'écoute est indispensable pour continuer  à recevoir les grâces bénédictines, dans notre état de laïcs de telle communauté.