« Quel malheur pour vous… ». À « première vue », le ton des lectures de ce jour nous laisserait plutôt avec un certain sentiment de malaise. Mais  nous connaissons Jésus comme un maître « doux et humble de cœur » (Mt  11,29), venu « non pas juger le monde mais le sauver » (Jn 12,47). Si sa parole prend la forme d’un réquisitoire prophétique c’est qu’il se joue là quelque chose d’essentiel : il vient nous mettre en garde contre des écueils qui pourraient porter préjudice à l’annonce du Royaume de Dieu.

     Il revient aux pharisiens et docteurs de la Loi, d’enseigner les commandements du Seigneur et de donner l’exemple de la conversion. Or, en s’attachant à l’observance des détails – ici, un élément secondaire de la loi : la dîme sur les plantes du jardin – ils échouent à transmettre le cœur de la Loi : l’amour et la miséricorde. L’offrande tout comme les ablutions rituelles qui ont précédemment été occasion de désaccord, ne prennent leur sens que dans le premier commandement « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force … et ton prochain comme toi-même » (Mt 22, 37.39). Or en cherchant à être remarqués et admirés, en ayant des exigences trop lourdes à l’égard des autres, ils manquent à la charité et ne témoignent pas du Dieu de l’Alliance qui veut sauver son peuple.

      En utilisant l’image des tombeaux (Lc 11, 44) qui ne se remarquent pas mais abritent pourtant mort et décomposition, Jésus laisse aussi entendre la part d’hypocrisie qui se cache dans cette attitude. En apparence tout est propre et net mais à l’intérieur bien des choses sont à purifier. C’est aussi cette attitude que dénonce St Paul dans la première lecture, accusant les Juifs de se croire supérieurs aux païens et de condamner des agissements qu’eux-mêmes effectuent aussi. Derrière toutes ces remontrances, se pose la question fondamentale de la cohérence entre nos paroles et nos actes « n’aimons pas avec des paroles et des discours mais en acte et en vérité », nous pressait déjà St Jean (1 Jn 3,18). Oui, il s’agit d’abord de témoigner par notre vie. C’est ce qui apparaîtra clairement à St François d’Assise dans sa rencontre avec le sultan d’Égypte Malik-al-Kamil (événement dont nous fêtons les 800 ans cette année). Alors que les premiers frères envoyés en mission auprès des « infidèles » ont été massacrés en annonçant, à peine arrivés au Maroc, la Parole de Dieu ; alors que la croisade est occasion de bien des atrocités et donne un contre-témoignage de l’amour du Christ pour l’humanité ; l’attitude humble et passionnée de François pour son Seigneur permettent un échange en vérité avec le Sultan et un grand respect mutuel même s’il n’aboutit pas à la conversion désirée.

     François en tirera comme règle, pour les frères en mission « parmi les infidèles », de « ne faire ni disputes ni querelles, mais d’être soumis à toute créature humaine à cause de Dieu et de confesser qu’ils sont chrétiens » et seulement ensuite, si « cela plaît au Seigneur », d’annoncer la parole de Dieu (1ère Règle de st François 16,6-7).

     Faire ce que nous disons … bien sûr nous sommes d’accord sur le bien-fondé de cette proposition, reste que nous sommes limités et pauvres et qu’il nous est difficile d’y parvenir dans tous les domaines. C’est donc bien sur l’essentiel qu’il faut concentrer nos efforts : le témoignage de l’amour, le « commandement nouveau » que nous a laissé le Christ. Au cours de son dernier repas, Jésus a demandé à ses disciples « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés, c’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que tous vous reconnaîtront pour mes disciples. » (Jn 13, 34-35). Le pape François nous appelle à être « disciples-missionnaires ». Accueillons donc nous-mêmes l’amour du Christ pour pouvoir l’annoncer aux autres. En ce jour, où l’Église nous offre comme modèle de sainteté Ste Marguerite-Marie Alacoque, ressourçons-nous dans la contemplation du Sacré-Cœur de Jésus – ce cœur qui a tant aimé le monde, qui a donné sa vie pour les pécheurs – et faisons nôtre, cette invitation de Ste Claire d’Assise à Ste Agnès de Prague « Regarde le Christ, médite-le, contemple-le et n’aie d’autre désir que de l’imiter. » (2ème Lettre à Agnès de Prague, 20).