Bienheureuse Marie Poussepin - Chapitre 4

Qu’adviendrait-il de la Communauté si chère à son cœur si elle venait à mourir ? Cette question hante Marie Poussepin. Noëlle Mesnard étant décédée, la donation qui lui a été faite est devenue caduque. Même si Marie a toujours souhaité rester « dans une grande simplicité » le développement de son œuvre exige à présent qu’elle assure son avenir. Elle réfléchit et décide de consulter un avocat pour assurer à ses filles de conserver l’avoir de la communauté. La réponse de Maître Arrault est claire : il faut obtenir des Lettres Patentes du Roi et les faire enregistrer au Parlement pour que la Communauté puisse recevoir des dons et legs. Seules les Lettres Patentes donnent à une Communauté religieuse son existence légale.

Marie sait qu’elle s ‘engage là sur une voie difficile car les communautés séculières s’attiraient alors des ennemis. On préférait les couvents où les religieuses étaient cloîtrées. En fondant la Communauté des Filles de la Charité, Louise de Marillac s’était heurtée à la même difficulté : et pourtant le service des pauvres se fait surtout en dehors des couvents... Soutenue par son évêque, Marie adresse à M. de Pontchartrain, Chancelier de France un premier placet où elle résume l’origine et les buts de sa Communauté, son extension, le fait qu’elle ne demande aucun soutien financier. Grâce au seul profit de leur ouvrage de bas de soie à l’aiguille, ses filles peuvent vivre et acheter des remèdes pour leurs malades. Argument de poids, elle met en avant la création des écoles dans les villages qui n’en possèdent pas ce qui répond à la déclaration du Roi de 1698 sur l’instruction des enfants. Peine perdue. La requête reste sans réponse.

Ces difficultés n’empêchent pas l’extension de la Communauté. Marie est, en effet,  incitée à en créer une nouvelle à Angerville et elle reçoit des dons pour cette implantation ce qui l’incite à adresser un second placet au Chancelier. Il ne répond toujours pas.  

Sur un autre plan, Marie se soucie des liens avec le Tiers-Ordre dominicain. Sa communauté dépend du diocèse de Chartres, donc de l’évêque. Grâce à l’intervention du Père Mespolié, elle obtient cependant, en 1712, que le Maître Général des Dominicains donne patente au curé de Sainville pour lui permettre de recevoir à l’habit les sœurs du Tiers-Ordre. L’évêque ne verra pas d’un bon œil cette autorisation qui sera remise en cause en  1738.

Pour l’heure, Marie continue son extension, comptant sur la Providence pour assurer la pérennité de son institution. Pour répondre aux appels pressants, elle fonde encore les établissements de Meung sur Loire, Binas, Jouarre, Massy, Chilly et Le Plessis St Benoît.

Très soucieuse d’obtenir les fameuses Lettres Patentes, Marie apprend, en 1714, que le chancelier de Pontchartrain a quitté sa charge, Elle envisage donc de renouveler sa requête. Mais le nouveau chancelier, Henri-François d’Aguesseau lui est hostile.

Pourtant Marie est soutenue par ceux qui apprécient son dévouement et celui de ses filles. L’évêque d’Orléans lui donne des lettres testimoniales concernant les sœurs de Janville et de Meung. L’évêque de Chartres, Monseigneur de Mérinville, en fait autant pour la Communauté de Sainville. Pourtant les rapports avec ce dernier sont difficiles. A Sainville, la Maison-Mère, Marie Poussepin a décidé de faire bâtir une chapelle que les sœurs entretiennent avec soin. Mais l’évêque, refuse de la bénir. Le Tiers-Ordre dominicain reste, pour lui, un obstacle malgré tout le bien qu’il pense de l’œuvre de Marie. Aussi, pendant un an, la chapelle n’est-elle pas utilisée. Encore une épreuve pour Marie qui dénoue la situation en faisant un don à l’évêque, prélevé sur son héritage familial. Pour finir, la chapelle est bénie en décembre 1719.

En 1720, Marie Poussepin fait une nouvelle tentative pour obtenir les Lettres Patentes tant espérées. Louis XIV était mort en 1715, Henri-François d’Aguesseau parti en exil. Or, pendant la Régence, la charge de chancelier était assurée par le Garde des Sceaux. En 1720, Marie Poussepin saisit cette opportunité et lui adresse un nouveau placet, accompagné des lettres testimoniales des évêques. L’affaire traîne, aucune réponse n’est donnée et le chancelier d’Aguesseau retourne à son poste.

Les déceptions s’accumulent pour Marie tandis qu’elle perd certains de ses soutiens. Le curé de Sainville est remplacé par un pasteur autoritaire et ombrageux avec lequel elle va entretenir de difficiles relations. Le supérieur ecclésiastique, M. Gobinet, qui avait tant aidé Marie dans ses rapports délicats avec l’évêque de Chartres, vient à décéder.

Des difficultés surgissent également dans sa communauté tandis qu’une longue maladie l’affaiblit et que des sœurs quittent la communauté. Elle porte seule l’avenir de sa fondation et la Providence la contraint à « porter du fruit par la persévérance ». Sa foi la soutient. Elle est intimement convaincue ainsi qu’elle l’exprime à plusieurs reprises qu’elle n’est que l’humble instrument d’une œuvre voulue et réalisée par la seule Providence.

En 1723, l’espoir renaît. Suite au décès de M. Gobinet, l’évêque de Chartres nomme comme supérieur ecclésiastique de la Communauté de Sainville M. Gaspard de La Bastie qui n’est autre que l’archidiacre du diocèse. Ce théologien est aussi un administrateur sage et décidé qui prend en mains les intérêts de la Communauté. Son efficacité se remarque d’abord à Angerville où les dépenses engagées obéraient la situation financière. Pour Marie, il est un homme providentiel qui va jouer son rôle dans l’obtention des fameuses Lettres Patentes. Or, le 16 février 1723, le jeune Louis XV fête ses treize ans, autrement dit sa majorité. Et depuis l’année précédente, M. d’Aguesseau subit un nouvel exil de sa charge. Marie peut désormais s’adresser directement au Roi. Quelques mois plus tard, en juin 1723, se tient à Paris une Assemblée du Clergé de France qui réunit de nombreux évêques. M. de La Bastie connaît nombre de prélats et peut ainsi faire appuyer la demande de Marie Poussepin. Elle rédige donc une nouvelle supplique où elle insiste sur l’autosuffisance de sa Communauté et son refus d’accepter tous legs et dons. Elle demande au Roi de confirmer l’établissement sous le nom de la Communauté des Sœurs de la Charité de Sainville, sous l’obéissance de M. l’évêque de Chartres.

Elle reconnaît ainsi se soumettre à l’autorité diocésaine, le titre officiel ne faisant plus référence aux Dominicains. Elle clarifie ainsi la situation de la Communauté et s’impose à elle-même le renoncement à son obédience dominicaine.

Ses efforts sont couronnés de succès puisqu’elle reçoit enfin le document, signé du 14 mars 1724, qui consacre l’existence officielle de la Communauté. Cependant tout n’est pas encore joué. L’édit du Roi ne prend effet qu’après une ordonnance d’enregistrement du Parlement de Paris. L’évêque doit donner son consentement ce qu’il fait en imposant son autorité de manière exclusive et en se réservant de donner lui-même sa règle à la Communauté. C’est chose très grave pour Marie Poussepin qui redoute ce nouveau règlement. Se pourrait-il qu’il s’oppose à l’esprit qui anime sa Communauté, directement inspiré du Tiers-Ordre dominicain même s’il n’en est plus fait mention ?

Le Parlement de Paris ne donne pas son aval sans consultation préalable. Il prescrit de faire procéder à une information sur les avantages qu’il y a à établir une Communauté à Sainville. C’est ce qu’on appelle l’enquête Commodo et Incommodo qui, après l’audition de nombreux habitants, conclut favorablement. Il manque encore l’avis de l’assemblée de paroisse. Or le Curé, très hostile à Marie, signe une diatribe où il s’oppose formellement à la reconnaissance de la Communauté. L’assemblée le met en minorité et  donne son accord. Quelques démarches encore… et, le 4 juillet 1725, Marie fait enregistrer ses Lettres Patentes dans deux juridictions.

Ainsi se terminent douze années d’attente, de démarches, d’espoirs déçus, de vaines tentatives, d’angoisses… Mais, à 72 ans, Marie a gagné… même si l’abandon consenti, malgré elle, de la règle dominicaine lui laisse un goût d’amertume. Dès lors son institut peut traverser les siècles. Dix fondations existent. Or Marie ne relâche pas son effort. Il  fallut fermer Binas, Auneau et Jouarre mais bientôt ouvraient les établissements d’Arménonville-les-Gâtineaux, de Puiseaux, de Saint-Fargeau, de Toury, suivis quelques années plus tard de Joigny, Milly-en-Gâtinais et Coubron.

La tâche est lourde pour Marie à mesure que la Communauté s’agrandit et qu’il lui faut inspecter les divers établissements, veiller à la formation des novices, décider des mutations. Cependant, tout en assurant ces diverses obligations, elle va consacrer quatorze années de sa vie à la rédaction des Règlements de son institution.

Craignant de recevoir de l’évêque des Règlements imposés, elle prend l’initiative de les rédiger pour les soumettre à son approbation. Elle apporte le plus grand soin à l’élaboration de ce texte, à la fois inspiré de la règle du tiers-ordre dominicain et de son expérience, longuement mûrie, en qualité de fondatrice de son Œuvre. L’évêque y ajoute sa marque, affirmant clairement son autorité mais le texte est bien issu de la pensée de Marie.

La règle définit ce que doit être une sœur de Charité, tout entière consacrée à imiter la vie et la charité de Notre-Seigneur. Celle-ci se vit d’abord en interne, au sein de la communauté où sont observées l’obéissance, la chasteté et la pauvreté. En femme très équilibrée, Marie souligne que la perfection peut être atteinte sans mortifications ni actions héroïques mais dans les mérites de la vie de tous les jours. Le recours à la prière, à l’Eucharistie, la dévotion à la Vierge Marie alimentent cette vie de charité. Celle-ci est tournée vers l’accueil, l’enseignement, les soins aux malades. Marie recommande à ses filles « l’amour du travail  auquel elles emploieront soigneusement leur temps » et l’esprit missionnaire pour répandre au dehors les grâces reçues.

Les Règlements précisent les structures de l’institut dont Marie prône l’unicité. Les fondations locales sont seulement des établissement dépendant de la Communauté principale de Sainville. L’autorité de la Supérieure s’étend à toutes et à tous. Mère spirituelle, elle étend sa vigilance sur toutes choses. Mais cette autorité est surtout décrite comme une sollicitude à l’égard de toutes. Elle requiert également la participation de toutes aux décisions concernant les affaires importantes de la communauté.

A dater de sa quatre-vingt cinquième année, la santé de Marie Poussepin s’altère. Une de ses petites cousines, Agnès Revers prend les rênes de la communauté. Elle sera officiellement nommée Supérieure au décès de Marie. Celle-ci s’efface et se cloître dans sa petite cellule du couvent pendant les quatre dernières années de sa vie. Elle décède à l’âge de quatre-vingt dix ans, le 24 janvier 1744.

Son biographe, le chanoine Poüan écrivit à son sujet : « la sainte fondatrice a nettement saisi le tempérament à part et nouveau de la congrégation qu’elle se sentait inspirée de fonder. Et cette communauté toute dominicaine par l’esprit, toute de charité par les œuvres, elle l’a créée, réalisée devant le Seigneur. » Et de souligner combien la tâche fut difficile face aux obstacles semés sur son chemin par « l’ennemi de tout bien ».

Jusqu’à la Révolution, la Communauté ne cessa de s’agrandir. Mais, en 1793, elle fut dispersée, le couvent spolié et le sanctuaire profané. Seul un petit noyau de sœurs subsista à Janville. A la suite du Concordat, un arrêté du préfet d’Eure-et-Loir autorisa, en 1803, la reconstitution de la Communauté et l’élection d’une Supérieure. Dès lors, on ouvrit de nouveaux établissements et le Siège de la Congrégation fut transféré de Janville à Tours en 1813.

En 1818, une jeune sœur Saint-Pierre entre au noviciat. Elle prend Marie Poussepin comme modèle et apparaît comme une seconde fondatrice de l’ordre. Elue Supérieure Générale en 1843, elle fonde soixante-quinze établissements nouveaux sur le territoire français et bâtit la Maison-Mère de la Grande-Bretèche à Tours. Elle se dépense pour rechercher les origines de la Communauté, son appartenance dominicaine. Elle réimplante l’Ordre à Sainville et c’est grâce à elle qu’y fut retrouvée, en 1857, la tombe de la fondatrice qu’elle fit transférer à Tours.  

Marie Poussepin avait dû renoncer à l’identité dominicaine de sa Communauté, le Droit Canon ne reconnaissant comme Religieuses que celles en clôture. Ce Droit fut révisé en 1897 : dès lors la Congrégation retrouva son identité dominicaine. Elle fut agrégée définitivement à l’Ordre en 1959. Le vœu de la fondatrice fut ainsi respecté, deux cents ans après sa naissance.

Les Sœurs de Charité dominicaines de la Présentation de la Sainte Vierge sont aujourd’hui présentes dans trente-six pays sur quatre continents où elles répondent aux appels de leur temps, à l’urgence de l’Evangélisation, gardant comme aux origines la priorité pour les pauvres.

Marie Poussepin fut béatifiée le 20 novembre 1994 par Saint-Jean-Paul II. La date de célébration de sa fête a été fixée par sa congrégation au 14 octobre, date de sa naissance. Dans le calendrier liturgique universel de l’église, la Bienheureuse Marie Poussepin est fêtée le 24 janvier, date anniversaire de sa mort.

« Porter du fruit par la persévérance ». Toute sa vie Marie Poussepin  s’est battue pour que son Œuvre, toute dédiée à la charité et à l’évangélisation, s’affirme et survive malgré les embûches du Malin. Aux heures les plus sombres, elle n’a jamais douté, elle a persévéré. Elle a fait confiance au Seigneur qui a couronné ses efforts.

Marie, aide-nous à résister à la tentation du découragement quand il nous semble que tout va mal. Apprends-nous la patience et la persévérance et affermis notre foi. A ton exemple, tournons-nous vers Notre-Dame, notre Mère.

 Je vous salue, Marie…

Prière de la communauté

Je vous salue Marie

Je vous salue Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus le fruit de vos entrailles est béni. Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort. Amen.

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Que vos paroles soient toujours bienveillantes, qu’elles ne manquent pas de sel, vous saurez ainsi répondre à chacun comme il faut. Col 4 : 6

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