Saint Bruno : chapitre 3

Chapitre 3 :

La Grande Chartreuse, aujourd’hui

Cette année 1084 voit naître la fondation de l’Ordre des Chartreux dans un site dont ils furent chassés à plusieurs reprises mais où ils sont toujours retournés et qu’ils habitent encore aujourd’hui. Bruno et les siens choisissent donc un espace situé non loin d’une source pour s’installer. Une installation des plus sommaires… Ils bâtissent quelques cabanes en bois, autour d’une chapelle. Plus tard, la source sera captée et circulera dans chaque cellule, grâce à des canaux, construits d’abord en bois puis en pierre.

Bien évidemment, rien ne subsiste aujourd’hui de cette fondation, l’actuel monastère de la Grande Chartreuse étant construit moins haut dans la montagne. Il existe à présent deux chapelles situées à peu près à l’endroit choisi initialement par Bruno et ses compagnons, celle de Saint Bruno et celle de Notre-Dame de Casalibus où se trouvait le premier cimetière des ermites, signalé désormais par une croix de fer. Le nom de Notre-Dame de Casalibus évoque les premières bâtisses des moines puisque  Casalia veut dire en latin « cabane en bois », Ce premier emplacement choisi fut détruit par une avalanche en 1132. Les bâtiments actuels datent du XVIIe siècle. 

Dans les premiers temps, Bruno n’impose aucune règle, il préfère qu’à l’épreuve des jours, celle-ci se mette en place peu à peu. Le choix étant fait d’une vie érémitique, les moines sont appelés à la contemplation et prient surtout dans le silence de leur cabane. Ils y célèbrent même des offices. Seules matines et vêpres les réunissent à la chapelle. C’est là que se rend le petit groupe, tout vêtu de blanc, dans un habit tissé d’une laine rêche, utilisée par les montagnards.

Ils sont pauvres et vivent de quelques têtes de bétail et du bois que leur procure la forêt. Attenant à chaque cabane se trouve un jardinet où ils cultivent légumes et fleurs. Ils se nourrissent de pain et de légumes lors des repas qu’ils prennent chacun dans la solitude de sa cellule. Le dimanche, le repas est pris en commun et le menu s’enrichit d’œufs et de fromage, parfois de poisson si on leur en fait le don. Puis tous se regroupent pour le « spatiement » soit une demi-journée de liberté où ils s’égayent dans la nature. Pauvres, ils entretiennent alors une riche bibliothèque car ils copient des livres. Les seigneurs de la région, émus par leur dénuement, leur procurent en effet cuirs et parchemins. Leurs troupeaux en fournissent également. Les livres transcrits et enluminés constituent, pour une partie, leur trésor. 

Au cours des siècles, les visiteurs seront toujours frappés par l’équilibre et la joie qui émanent des Chartreux. Ils sont ouverts, gais, sympathiques et leur bonheur de vivre est communicatif. Au temps de Bruno, c’est tout d’abord l’évêque de Grenoble, Hugues de Chateauneuf qui multiplie les visites auprès d’eux tant il se plaît en leur compagnie. Au point que Bruno lui reproche la fréquence de ses retraites. Et Hugues d’avouer qu’il 

aimerait se joindre à eux. Bruno ne l’entend pas ainsi et lui ordonne de rejoindre Grenoble où se trouve sa place...

De là, l’évêque veille sur les moines. Il fait défense aux femmes de pénétrer en Chartreuse « depuis la porte de l’enclos à l’entrée du désert ». Il y interdit aussi la chasse et la pêche pour que le repos des ermites ne soit point troublé. Refuge des moines, la Chartreuse devint ainsi le refuge des oiseaux et de tous les animaux traqués par l’homme.

Ce bonheur de vivre dans la pauvreté et l’adoration du Seigneur dure six ans.

Un jour d’hiver, probablement en février 1090, arrive à la Chartreuse un courrier pontifical. Sa Sainteté, Urbain II, un Français qui, par malheur pour Bruno, a fait ses études à Reims et donc le connaît bien et l’apprécie, l’appelle au secours. Que se passe-t-il donc ?

Urbain II est l’héritier d’un conflit qui avait opposé l’un de ses prédécesseurs, Grégoire VII, à l’empereur allemand Henri IV. Celui-ci avait voulu s’arroger le pouvoir de nommer les évêques et avait été excommunié en conséquence. Venu faire pénitence auprès de la reine Mathilde de Toscane en son château de Canossa où se trouvait Grégoire VII, il avait obtenu la levée de son excommunication. Un repentir feint… Le soi-disant pénitent avait profité de sa présence dans ces régions pour marcher sur Rome. Attaqué, le Pontife avait appelé à sa rescousse les Vikings de Calabre, commandés par Robert Guiscard. Ceux-ci avaient chassé l’ennemi mais s’étaient livrés à un pillage en règle de la Ville Eternelle. 

Victor III, successeur de Grégoire VII avait à nouveau excommunié l’empereur allemand lequel, en réponse, avait provoqué un schisme en nommant un pape, Clément III, en la personne de Guibert, l’archevêque de Ravenne. Puis il avait attaqué Rome à nouveau. Victor III avait fui, puis reconquis sa capitale avant de mourir.

Donc à Rome la position d’Urbain II, successeur de Victor III,  est des plus précaires. Au Nord, les troupes d’Henri IV menacent à nouveau. Au sud, les bandes de Robert Guiscard ont montré les limites de leur alliance avec la papauté. A la réflexion, Urbain II décide d’opposer à la force brutale, l’intelligence et la bonté. Il lui faut s’entourer d’hommes remarquables. Parmi eux, l’Ecolâtre de Reims, dont la diplomatie, les qualités humaines et les vertus chrétiennes ont emporté l’adhésion de tant de ses élèves, devraient faire merveille. Et tant pis s’il s’est fait ermite. Il sortira de son ermitage.

A la Chartreuse, c’est l’émoi. D’autant que pour amicale qu’elle soit, la missive papale est impérative et exige une obéissance immédiate. Il est ainsi demandé à Bruno de « se détacher de son détachement ». Il est prêt à partir.

Mais les moines ne conçoivent pas de continuer sans lui. Leur communauté dépend du Maître. Ils ne peuvent l’abandonner. C’est décidé. Ils partiront en exil avec lui. Pour sa part, Bruno doit sacrifier son œuvre, y renoncer de façon définitive et c’est un déchirement. Que faire de la Chartreuse abandonnée ? Il se concerte avec l’évêque de Grenoble et décide de transférer la propriété du Désert aux moines bénédictins de la Chaise-Dieu.

Le jour de départ, ils jettent tous un dernier regard sur ces lieux aimés où ils avaient pensé terminer leurs jours dans l’adoration du Seigneur. Ils partent en confiance car ils savent qu’ils ne seront pas seuls en chemin. Dieu veille sur ses serviteurs. De fait, en cette fin d’hiver, la traversée des Alpes encore enneigées est périlleuse. Une fois franchies, le danger reste grand car la route qui traverse la Lombardie et les conduit vers Rome est pleine d’embûches : les troupes de l’antipape contrôlent le pays. Prudents, ils procèdent par petites étapes et finissent par arriver à Rome. 

Bruno s’interroge. Quelle est donc cette mission qui implique, pour lui et les siens, un tel renoncement ? Comme on l’a vu, Urbain II devait tirer son épingle du jeu entre les troupes schismatiques au nord et les Vikings au sud. Or son idée était d’envoyer Bruno « en mission permanente d’amitié » auprès du chef des Vikings, le grand comte Roger. Il comptait sur la diplomatie, l’intelligence, la douceur, la bonté de Bruno pour amadouer ce difficile partenaire et adoucir les mœurs de ses troupes. En bref, transformer le comte Roger et les vikings en alliés acceptables. Dès l’arrivée des moines, il déclare vouloir nommer Bruno évêque de Reggio mais, face à son refus, il le charge d’une mission officieuse auprès du grand comte Roger.

Cependant, réflexion faite, le Pontife est conscient d’avoir commis une injustice en arrachant les ermites à leur Chartreuse, détruisant ainsi ce que le Seigneur avait voulu. Soucieux de réparer le tort subi, il ordonne aux compagnons de Bruno de retourner en Chartreuse et nomme Landuin comme Prieur. Par une lettre du 17 septembre 1090, il prie l’Abbé Seguin de la Chaise-Dieu de restituer le désert de Chartreuse « aux disciples de Maître Bruno ». Celui-ci va s’en acquitter avec scrupule. De leur côté, les solitaires ne s’étaient guère plu dans le tumulte de Rome. La perspective d’accompagner Bruno dans les forteresses vikings, renonçant ainsi à leur vocation contemplative, ne les avait pas enchantés non plus. Toutefois le fait de quitter Bruno, probablement pour toujours, les remplit de tristesse. C’est dans cet état d’esprit qu’ils reprennent la route du retour. Mais à mesure qu’ils progressent vers les Alpes, la joie de retrouver leur havre de paix les submerge bientôt.

Ils sont restés six mois absents. Le retour, en l’absence de leur Prieur bien-aimé, est difficile et le doute s’installe. Mais le Seigneur veille sur eux. Une nuit, certains d’entre eux font le même songe. Saint Pierre leur apparaît et leur annonce qu’en joignant tous les jours l’office de la Vierge au grand office, ils obtiendront le don de persévérance. C’est là l’origine de la ferveur des Chartreux à l’égard de Marie et leur persévérance, intacte depuis près de mille ans.

De son côté, le cœur lourd, Maître Bruno quitte Rome et prend la route du sud.

« Se détacher de son détachement ». En s’installant au désert de Chartreuse, Bruno et ses compagnons avaient renoncé à tout. Il leur est ensuite demandé d’aller plus loin, de consentir au renoncement suprême en quittant cette humble et pauvre retraite des Alpes qui faisait leur bonheur. Ils n’hésitent pas. Ils obéissent.

Notre vie est bien souvent faite de renoncements successifs. Nous y consentons avec difficulté parfois. C’est pourtant en nous détachant peu à peu des choses du monde que nous faisons de petits pas vers le Royaume de Dieu. Avec l’aide de la Vierge Marie.

 Je vous salue, Marie…

Prière de la communauté

Je vous salue Marie

Je vous salue Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus le fruit de vos entrailles est béni. Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort. Amen.

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Que vos paroles soient toujours bienveillantes, qu’elles ne manquent pas de sel, vous saurez ainsi répondre à chacun comme il faut. Col 4 : 6

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