EN CHEMIN VERS LA PRIÈRE (Deuxième partie)

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2. UN DIEU DE TENDRESSE

La prière de Jésus contient deux mouvements qui deviennent l’expression de notre foi et activent notre vie tout entière, si nous en prenons le chemin. Deux mouvements : l’élévation, c’est-à-dire l’adoration : " Seigneur Jésus Christ Fils de Dieu ", et l’abaissement dans la prise de conscience de mon impuissance naturelle à me constituer maître de ma vie : "Aie pitié de moi pécheur. "

Notre temps refuse cette manière de penser et d’être. Pour beaucoup, le fait d’implorer la pitié de Dieu et surtout de se reconnaître pécheur amène à des comportements de culpabilité et rabaisse et humilie ceux qui s’installent dans une telle pratique. On a beaucoup reproché aux Églises de manipuler les chrétiens en les maintenant ainsi dans une dépendance qui les empêche de devenir adultes et de construire leur identité.

Quel homme, quel genre de vie peut forger la "Prière de Jésus " ? Pourquoi ces paroles : "Aie pitié de moi pécheur " ? Arrêtons-nous durant quelques instants et fermons nos yeux pour dire très lentement : "Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de mot pécheur, aie pitié de moi pécheur. " Quel écho ces paroles produisent-elles en moi ? Quelles sont mes réactions ?...

Laissons maintenant de côté ce que la prière a peut-être fait monter en nous comme révolte ou colère, sans pour cela refouler nos sentiments ; essayons de taire pour un moment nos idées préconçues ou nos connotations morales, afin de nous offrir la chance d’entrer dans l’expérience de chaque parole, ainsi que nous l’avons déjà tenté pour le premier mouvement de la prière. Pour ce faire, répétons avec le roi David les paroles du Psaume 51, et nous entrerons de plain-pied dans l’esprit de la Prière de Jésus : Aie pitié de moi, ô Dieu, dans ta bonté, selon ta grande miséricorde efface mes transgressions, lave-moi complètement de mon iniquité, et purifie-moi de mon péché.

Dans la Bible, implorer la pitié de Dieu, c’est implorer l’Être même de Dieu, cet Être que le Père Céleste a révélé à Moïse pour son peuple, et qu’incarne le Seigneur Jésus-Christ par sa vie même et son enseignement. Israël peut implorer la pitié de Dieu, car il l’a expérimentée de génération en génération :

Toi, tu es un Dieu prêt à pardonner ; compatissant et miséricordieux, lent à la colère et riche en bonté, et tu ne les abandonnas pas, même quand ils se firent un veau en fonte... Dans ton immense miséricorde, tu ne les abandonnas pas au désert... Tu leur donnas ton bon Esprit pour les rendre sages, tu ne refusas point ta manne à leur bouche et tu leur fournis de l’eau pour leur soif... (Ne 9,17-25).

Dieu n’a pas pour l’homme une pitié condescendante. Il est en relation avec chacun de nous en particulier, penché sur chacun avec la même sollicitude. Il sauve l’homme, le libère, dans quelque souffrance qu’il se trouve. Israël a mis sa foi dans cette certitude qui lui permet de ne jamais sombrer dans le désespoir :

Reviens vers nous, Seigneur ne tarde pas !
Aie pitié de tes serviteurs.
Comble-nous dès le matin de ta miséricorde,
nous serons tout le jour dans la joie et l’allégresse.
 (Ps 90,13-14)

La miséricorde divine unit le ciel à la terre, elle est le ferment de l’alliance entre Dieu et l’homme, alliance que Dieu a éternellement scellée dans les entrailles de Marie, la très sainte Mère de Dieu : Et sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent (Lc 1,50). Jésus, " Dieu sauve ", est la révélation en plénitude de la tendresse miséricordieuse du Père envers ses enfants que nous sommes.

Le Seigneur Jésus-Christ fait lui-même l’expérience de la pitié divine, de l’amour compatissant envers ceux qui l’implorent :

Et voici, deux aveugles assis au bord du chemin entendirent que Jésus passait et crièrent : " Aie pitié de nous Seigneur, Fils de David ! " Jésus les rappela et dit : " Que voulez-vous que je vous fasse  ? " Ils lui dirent : " Seigneur, que nos yeux s’ouvrent. " Ému de compassion, Jésus toucha leurs yeux et aussitôt ils recouvrèrent la vue et le suivirent (Mt 20,30-34).

Et le suivirent... dans le Christ, la pitié divine nous place dans une tension d’espérance qui jamais ne peut douter de la présence aimante de Dieu dans notre vie, ni du sens même de notre vie qui est le Christ lui-même, ainsi qu’en témoigne saint Paul.

Il est d’autres épisodes dans l’Évangile, où nous découvrons Jésus ému, pris de pitié, guérir les malades, les infirmes, chasser les démons, ressusciter les morts. Relisons ces passages qui ouvriront nos propres coeurs à l’esprit de compassion : Marc 1,41 ; Marc 9,22 ; Luc 7,13-14. La pitié divine est amour actif, créateur, qui fait passer de la mort à la vie. Mais ce passage ne peut se réaliser que dans le pardon divin qui donne le sens plénier à la miséricorde divine.

Dans l’Ancien Testament, nous trouvons ces paroles divines qui font tressaillir nos entrailles : Un court instant, je t’avais délaissée, dans une immense pitié, je vais t’unir à moi, ... avec un amour éternel j’aurai compassion de toi, ...quand les montagnes s’éloigneraient, quand les collines chancelleraient, mon amour ne s’éloignera point de toi, ...dit le Seigneur qui a compassion de toi (Is 54,7-10).

Sans cesse Israël pèche en trahissant son Dieu, sans cesse Dieu offre son pardon à cause de son Nom : à cause de ce qu’il est pour l’homme, le Dieu fou d’amour renoue l’alliance rompue et permet ainsi à son peuple une nouvelle étape, une nouvelle montée, dans un retour vers lui qui est la Vie. Le Christ Jésus est la révélation du pardon jailli au coeur de Dieu. Au travers des guérisons qu’il opère, Jésus, Dieu fait homme, nous permet de comprendre qu’il ne peut supporter que nous mourions paralysés dans l’étau de nos péchés. Nos souffrances, nos maladies découlent de notre nature pécheresse et nous conduisent à la mort, et cela est insupportable à l’amour divin. C’est pourquoi le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu (Lc 19,10) en recevant de son Père le pouvoir sur la terre de pardonner les péchés (Mc 2,10).

Seul le Christ Jésus peut pardonner les péchés, c’est-à-dire nous rendre la vie, parce qu’il a partagé notre vie pécheresse en se faisant solidaire de notre humanité pécheresse, lui qui n’a pas commis de péché. Il est entré dans la mort, conséquence du péché de l’homme, et sa Croix est le gage de son pardon : Père, pardonne-leur ; ils ne savent pas ce qu’ils font (Lc 23,34).

Dans ce contexte, la Prière de Jésus va éveiller en nous à la fois le souvenir de Dieu, le Seigneur de vie qui pardonne, et le souvenir de la mort engendrée par le péché humain. Alors notre vie pourra trouver son sens lumineux, car dans la reconnaissance de mon péché qui me plonge dans les ténèbres et contribue aux ténèbres du monde, je vis la Pâque offerte par le pardon du Christ crucifié qui me fait entrer dans la vie nouvelle et conduit en même temps vers l’amour pour mes frères. C’est ce que l’on appelle la métanoïa, le retournement. Ma vie ne s’épuise plus à tourner autour de moi-même, mais elle s’épanouit, orientée vers le Dieu miséricordieux et compatissant, et trouve sa responsabilité dans le monde. Ainsi " la mémoire de la mort s’inverse en mémoire de Dieu, qui se laisse saisir par la mort pour la consumer et nous offrir la résurrection (Olivier Clément).

Celui qui s’aventure sur le chemin de la Prière de Jésus se sait malade, divisé, hors de lui-même, il voit son péché sans culpabiliser mais sans l’occulter. Il ne suffit pas de dire " Aie pitié de moi pécheur " pour capter sa guérison, car la formule n’est pas magique, mais de prendre conscience de ce qui, dans mes pensées, mes regards, mes paroles, mes actes, m’éloigne de Dieu, c’est-à-dire me rend malade. Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin du médecin, mais les malades (Mc 2,17).

Qu’est-ce que cela veut dire pour moi : être malade, donc pécheur ? Nous n’allons pas donner la définition du mot pécheur, mais tenter de nous approcher de la réalité que nous pouvons expérimenter. Si nous pouvions simplement décrire le pécheur de la Bible, donc le pécheur que je suis, nous dirions que c’est celui qui se trompe de voie, celui qui se coupe de la voie d’alliance tracée pour lui par Dieu et qui, par esprit d’indépendance, s’aventure seul sur d’autres chemins, vers une destinée qui n’aboutit qu’à la mort. D’où ces appels désespérés, ces cris de détresse du peuple hébreu, mais en même temps ces demandes de pardon, toutes remplies de l’espoir de la délivrance.

Ô mon Dieu, tu connais ma folie et mes fautes ne te sont point cachées... Mais moi, Seigneur, je t’adresse ma prière... Réponds-moi, Seigneur, car ta miséricorde est secourable, dans ton immense compassion, regarde vers moi... Approche de mon âme et rachète-la (Ps 69).

On ne pèche que contre Dieu seul ! Mais soyons clairs : nos péchés n’offensent pas Dieu de la même manière que nos fautes offensent nos frères ; non, le péché n’est pas d’abord une attitude qui nie la morale, il touche au sacré même de la vie que Dieu nous a insufflée. Depuis la chute, depuis qu’Adam a refusé d’obéir à Dieu, c’est-à-dire de tendre l’oreille vers la volonté divine afin de se recevoir de Dieu, il n’est point d’homme qui ne pèche point, ce qui fait dire à saint Jean l’Évangéliste : Si nous disons : nous n’avons pas de péché, nous nous abusons, et la vérité n’est pas en nous (1 Jn 1,8).

Héritiers d’Adam par notre humanité, nous naissons pécheurs, mais Dieu qui est la Liberté nous a créés libres à son image, ainsi nous ne sommes pas obligés de pécher. Nos relations avec Dieu peuvent être vécues dans un principe de liberté. Lorsque nous nous appuyons sur cette liberté pour pécher nous refusons Dieu, nous le rejetons. C’est l’aspect mortifère de notre liberté ; mais cette même liberté est le tremplin de notre retournement vers Dieu. Notre liberté est un cadeau d’amour de notre Créateur. " Dieu peut tout sauf contraindre l’homme à l’aime, disent nos Pères, mais d’être à sa ressemblance, cela n’appartient qu’à ceux que par un grand amour ont attaché à Dieu leur liberté. "

Notre chemin de retour vers Dieu, notre métanoïa, ne peut se réaliser que dans l’amour, c’est pourquoi la Prière de Jésus est aussi appelée "prière du coeur ", nous y reviendrons dans le prochain article. Il n’est point de plus lumineuse parabole que celle du " fils prodigue " pour nous éclairer sur le devenir de ce fils que je suis et qui crie vers son Père : " Aie pitié de moi pécheur. "

Relisons cette parabole (Lc 15,11-52) et essayons d’entrer dans la peau du fils qui quitte son père, afin de découvrir avec le fils prodigue les moyens et les conditions de notre retour...

Je suis ce fils qui s’épuise dans "un pays lointain ", c’est-à-dire hors de mon coeur. Je dissipe la vie que j’ai reçue de Dieu. Animé par ma volonté propre, j’oublie Dieu, je mets mon espoir dans les hommes et ne compte que sur les seules nourritures terrestres pour vivre. Je deviens avare et ingrat en me considérant propriétaire des dons et richesses que Dieu me prodigue. Or la plus belle plante se dessèche si elle n’est pas arrosée : coupé de mon Dieu, je suis une terre desséchée et sans eau (Ps ). Mais au fond de moi, le meilleur de moi gémit et se souvient : Sur les bords des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion...(Ps 137,1).

Tout comme le fils prodigue, nous portons en nous la mémoire de la paternité divine, les paroles que le Père céleste a prononcées et dont ses enfants se souviennent de génération en génération. Au sein même du désarroi, de la misère, où mon départ me conduit, l’Esprit-Saint soupire : " Reviens, reviens ! "...

Je pose mon premier pas sur le chemin du retour lorsque, mû par l’Esprit-Saint, je nomme mes égarements, mes exigences, mes trahisons. Puis j’entre dans cette acceptation : " Je suis pécheur, Seigneur, aie pitié de moi  ! "

Quand ils seront dans le pays de leurs ennemis, je ne les rejetterai pas (Lv 26,44). Je sais que je puis sans crainte revenir vers le Père, je sais qu’il m’aperçoit de loin, c’est-à-dire là où j’en suis, tel que je suis. Je me souviens que déjà ses entrailles maternelles s’émeuvent : Une femme n’a-t-elle pas pitié du fruit de ses entrailles ? (Is 49,15).

Et puis il me prendra dans ses bras, comme me l’apprend la parabole, sans reproches, sans me punir, et il ordonnera un jour de fête pour annoncer ma résurrection. Oui, mon coeur peut expérimenter la joie de ce retour à la vie sans se leurrer ou douter, car si quelqu’un vient à pécher ; nous avons comme avocat auprès du Père Jésus-Christ, le Juste. C’est lui qui est victime de propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier (1 Jn 2,1-2).

"Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur ! "

Dans notre retour sur nous-mêmes, n’occultons pas le fils aîné de la parabole, qui refuse de participer à la fête organisée par son père pour son frère ressuscité et au quel le père dit : Tout ce qui est à moi est à toi. Nous sommes baptisés, revêtus de la lumière du Christ, mais bien souvent nos vies ne sont pas le reflet de sa lumière. Pourtant on va à la liturgie, on se marie à l’église, on fait baptiser les enfants, on étudie même la théologie, ou on accomplit des oeuvres de charité... Mais la souffrance de nos frères ne nous émeut pas, leurs combats pour la vie, leurs victoires ne nous intéressent pas. Nos coeurs se dessèchent, quelque part nous sommes des pharisiens fiers de leurs traditions, de leur rite, de leur héritage. Nous nous considérons comme les seuls justes auxquels reviennent les grâces divines, nous oublions combien la brebis perdue a d’importance pour le Christ. Il y a plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentir... (Lc 15,7).

Pour mon égocentrisme, ma vanité, mon ingratitude :

" Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur ! "

Nous pressentons l’impact que la Prière de Jésus peut avoir sur notre vie si nous décidons de prendre ce chemin. Elle va bousculer notre vie intérieure et extérieure, en nous conduisant à un autre regard sur nous-mêmes, sur le monde sur nos frères, sur l’Église.

" Elle est efficace et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu’au point de division de l’aine et de l’esprit ; des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du coeur. Aussi n’y a-t-il rien doris les profondeurs de notre esprit qui reste invisible devant elle, mais à sa lumière, tout est nu et découvert " (Archimandrite Sophrony, Sa vie est la mienne, p. l67).

La Prière de Jésus est aussi un art. Dans le prochain article, nous découvrirons une méthode au sein de notre tradition, afin de nous aider à entrer dans la pratique de la prière. Ainsi : L’homme descendra dans la profondeur de son coeur, alors Dieu montrera sa gloire (Ps 64,8).

Article paru dans la revue Le Chemin, no. 20, 1993.

Prière de la communauté

Prière de Jésus

Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur

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Que vos paroles soient toujours bienveillantes, qu’elles ne manquent pas de sel, vous saurez ainsi répondre à chacun comme il faut. Col 4 : 6

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