J11 - Deuxième dimanche - Ne crains pas, crois seulement

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Méditation biblique : Genèse 15, 1-18

(Les numéros représentent les versets) 1 Après ces événements, la parole du Seigneur fut adressée à Abram dans une vision : « Ne crains pas, Abram ! Je suis un bouclier pour toi. Ta récompense sera très grande. » 2 Abram répondit : « Mon Seigneur Dieu, que pourrais-tu donc me donner ? Je m’en vais sans enfant, et l’héritier de ma maison, c’est Élièzer de Damas. » 3 Abram dit encore : « Tu ne m’as pas donné de descendance, et c’est un de mes serviteurs qui sera mon héritier. » 4 Alors cette parole du Seigneur fut adressée à Abram : « Ce n’est pas lui qui sera ton héritier, mais quelqu’un de ton sang. » 5 Puis il le fit sortir et lui dit : « Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu le peux… » Et il déclara : « Telle sera ta descendance ! » 6 Abram eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu’il était juste. 7 Puis il dit : « Je suis le Seigneur, qui t’ai fait sortir d’Our en Chaldée pour te donner ce pays en héritage. » 8 Abram répondit : « Seigneur mon Dieu, comment vais-je savoir que je l’ai en héritage ? » 9 Le Seigneur lui dit : « Prends-moi une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une jeune colombe. »

10 Abram prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l’autre; mais il ne partagea pas les oiseaux. 11 Comme les rapaces descendaient sur les cadavres, Abram les chassa. 12 Au coucher du soleil, un sommeil mystérieux tomba sur Abram, une sombre et profonde frayeur tomba sur lui. 13 Dieu dit à Abram : « Sache-le bien: tes descendants seront des immigrés dans un pays qui ne leur appartient pas. On en fera des esclaves, on les opprimera pendant quatre cents ans. 14 Mais la nation qu’ils auront servie, je la jugerai à son tour, et ils sortiront ensuite avec de grands biens. 15 Quant à toi, tu rejoindras tes pères dans la paix. Tu seras enseveli après une heureuse vieillesse. 16 Tes descendants ne reviendront ici qu’à la quatrième génération, car alors seulement, la faute des Amorites aura atteint son comble. » 17 Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les morceaux d’animaux. 18 Ce jour-là, le Seigneur conclut une alliance avec Abram en ces termes : « À ta descendance je donne le pays que voici, depuis le Torrent d’Égypte jusqu’au Grand Fleuve. »

 

1. Commentaire : « Ne crains pas, crois seulement » (Mc 5,36)

           

C’est sans doute le récit d'alliance le plus récent de toute l'histoire d’Abraham, un des derniers textes de la Torah[1], écrit par quelqu'un qui connaissait déjà la suite de l'histoire. Le texte se structure en deux parties parallèles : la 1ère partie liée à la question de l'héritier et la 2ème partie liée à la question de la possession du pays. Un mot dont la racine signifie "hériter" et "prendre possession" fait le lien. Ce texte est comme un « résumé » du Pentateuque, car tous les thèmes abordés dans ce chapitre le sont aussi dans l'ensemble de la Torah. C’est comme un catéchisme avec son jeu de questions et réponses.

À la question d’Abraham sur l'héritier, correspondent tous les récits des Patriarches dans la Genèse. La déclaration de Dieu « Je suis le Seigneur » renvoie à la révélation du Sinaï, au livre de l’Exode. L'allusion aux animaux rituels qu'Abraham doit préparer correspond au livre du  Lévitique. Puis le sommaire de l'histoire, « On en fera des esclaves, on les opprimera pendant quatre cents ans » est une allusion aux résumés historiques du livre du Deutéronome (par exemple Dt 26, du premier dimanche de Carême). Abraham est donc vu comme le destinataire du contenu de la Torah qui précède et dépasse Moïse.

« La parole du Seigneur fut adressée à Abram dans une vision. » Abraham est présenté aussi comme une figure prophétique, où l’on perçoit l’écho du prophète Isaïe (7,9) : « Si vous ne croyez pas, vous ne pourrez pas tenir ». Le sacrifice étrange qu’il doit préparer en découpant les animaux se trouve en Jérémie 34,18 quand le prophète se plaint des Judéens qui se sont engagés à libérer les esclaves et qui ne l'ont pas fait. « Les hommes qui ont transgressé mon alliance, qui n’ont pas accompli les paroles de l’alliance conclue devant moi, quand ils avaient coupé en deux un veau, et qu’ils étaient passés entre ses morceaux. »  Cela peut signifier que s’ils ne respectent pas l’alliance, il leur arrivera la même chose qu'à ces animaux, ils seront mis en pièces. 

Abraham est aussi décrit comme une figure qui annonce le roi David. « Je suis un bouclier pour toi. » Dieu se présente à Abraham comme un bouclier, selon la dernière parole prononcée par Moïse dans le Deutéronome (33,29) : « Heureux es-tu, Israël ! Qui est semblable à toi, peuple sauvé par le Seigneur, lui, le bouclier qui te protège, l’épée qui te mène au triomphe ? » Quand Dieu annonce à Abraham un héritier, il parle de « quelqu’un de ton sang », littéralement « qui sort de tes entrailles » (15,4 ; note c dans la Bible liturgique). Cette expression se trouve appliquée à un homme uniquement ici et en 2 Samuel 7,12 dans la promesse faite à David d’un descendant (note f de la Bible liturgique). Abraham est bien vu comme le précurseur de David.

Enfin, il nous faut nous arrêter un instant sur le verset 6, l'un des plus importants dans le christianisme naissant, puisque c'est notamment en s’appuyant sur lui que Paul a développé son enseignement sur la justification par la foi. « Abram eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu’il était juste. »  L'auteur se réfère à la parole, déjà citée, du prophète Isaïe au roi Acaz : « Si vous ne croyez pas, vous ne pourrez pas tenir ».  Dans le récit des eaux de Mériba, le livre des Nombres (20,12) explique que Moïse et Aaron « n’ont pas eu assez de foi » et « c’est pourquoi ils n'entreront pas dans le pays. » Abraham, lui, a mis toute sa foi dans le Seigneur. Dans ce verset 6 de Gn 15, Abraham devient vraiment le père de la foi.

 

 

Exercice spirituel 

 « Abraham a vu mon Jour, et il s’est réjoui. » (Jn 8,56)

Par l’oraison liturgique de ce dimanche, nous demandons de « trouver dans la Parole de Dieu les vivres dont notre foi a besoin afin d’avoir le regard assez pur pour discerner » la gloire du Seigneur. Le fait d’être convertis à la foi ne signifie pas simplement acquérir un nouveau code de croyances, mais devenir une personne nouvelle, en communion avec Dieu et les autres par Jésus Christ. Je demande la grâce de donner, avec mes frères et sœurs chrétiens, par le « oui » de ma foi, un témoignage tel que puisse apparaître le grand « oui » que Dieu nous a dit  en Jésus Christ.  Je demande la grâce que la foi des chrétiens en ce Dieu au visage humain apporte la joie au monde.

 

2. Cinq extraits de lettres d’Edith Stein sur son chemin vers la foi

Lettres à Roman Ingarden (Correspondance I, Cerf - Editions du Carmel - Ad Solem 2009)

Contexte : Roman Ingarden (1893-1970), philosophe phénoménologue[2] polonais passe sa thèse avec Husserl sur « Intuition et intellect chez Henri Bergson ». Edith Stein se lie plus particulièrement à lui pendant la guerre. Il semble même qu’elle ait éprouvé un véritable amour pour lui comme en témoigne une lettre (unique) qui s’ouvre par un : « Mon chéri » et se poursuit par le tutoiement également unique dans leur correspondance (Lettre du 24 décembre 1917, Corr. I p. 111-112).  Si Edith Stein respecte l’incroyance affichée de son interlocuteur, elle n’accepte pas son attitude dilettante, irréfléchie, à l’égard de la religion. Les lettres qu’Edith lui écrit nous permettent de découvrir le chemin qui conduit Edith vers la foi. En voici quelques extraits :

  • 10 octobre 1918 (Corr. I p. 182-183) :

Je ne sais pas si vous avez déjà perçu à travers ce que je vous ai précédemment exprimé, qu’après mûre réflexion je me suis de plus en plus décidée pour un christianisme positif. Cela m’a libérée d’une vie qui m’avait défaite et cela m’a donné la force d’accepter de nouveau la vie avec gratitude. Je peux donc parler d’une « renaissance » au sens le plus profond. Mais la vie nouvelle est cependant si intimement liée aux événements de l’an passé que je ne m’en désolidariserai jamais d’aucune manière ; ils seront toujours pour moi le présent le plus vivant.      

  • 15 octobre 1921 (Corr. I, p. 264-265) :

Vous n’avez pas entièrement tort quand vous me supposez étrangère au monde, mais je crois que c’est dans un sens totalement différent de celui que vous vous figurez. Je suis maintenant à la veille d’entrer dans l’Eglise catholique. Je ne vous ai rien écrit de ce qui m’y a conduite. Tout cela ne peut que difficilement se dire de vive voix et ne peut pas du tout s’écrire. En tout cas j’ai durant ces dernières années bien davantage vécu que philosophé. Mes travaux ne sont jamais que des précipités de ce qui m’a occupée dans la vie, car je suis ainsi faite qu’il me faut réfléchir à ce qui fait ma vie − je vis en ce moment-même des jours très difficiles. Ma conversion est le pire de ce que je peux infliger à ma mère et c’est terrible pour moi de voir combien elle en souffre et ne rien pouvoir faire pour lui éviter cette souffrance. Il y a en effet un mur de séparation qui empêche absolument toute compréhension…  

  • 19 juin 1924 (Fête-Dieu). Edith Stein devenue catholique est enseignante à l’école Sainte-Madeleine de Spire. (Corr. I p. 286-288) :

Mon emploi du temps ne me laisse guère de loisir… Ces petits bouts de temps que je peux utiliser pour ma recherche personnelle, je les ai utilisés l’an dernier à traduire un livre du cardinal Newman… Traduire est pour moi en soi une joie. C’est en plus magnifique pour moi d’entrer en si étroit contact avec un esprit comme Newman. Toute sa vie n’a été qu’une recherche de la vérité religieuse et l’a conduit par une nécessité incontournable vers l’Eglise catholique. J’en suis maintenant au point où répondre à votre lettre me paraît une bien grande entreprise. En lisant les dernières lignes, je me suis demandée : comment est-il possible qu’un homme − avec une formation scientifique, qui ambitionne une stricte objectivité et ne prononcerait pas un jugement sur la moindre question philosophique sans l’avoir étudiée soigneusement − règle les problèmes les plus vitaux d’une seule phrase, qui fait penser par son style à une feuille de chou minable ? Je fais allusion au « système de dogmes conçu pour assujettir les masses » : ne le prenez pas pour un reproche personnel. Votre comportement est vraiment typique des intellectuels dans la mesure où ils n’ont pas été élevés dans l’Eglise, et je n’aurais pas pensé autrement il y a encore quelques années. Permettez-moi pourtant, au nom de notre vieille amitié, de transformer le problème général en une question de conscience intellectuelle  à votre intention. Combien de temps avez-vous déjà consacré (depuis le cours de religion à l’école) à étudier le dogme catholique, ses fondements théologiques et son développement historique ? Avez-vous déjà cherché à vous expliquer que des hommes tels qu’Augustin, Anselme de Cantorbéry, Bonaventure, Thomas −  sans mentionner les milliers d’autres dont les noms restent inconnus des non-spécialistes, et qui sans conteste n’étaient ou ne sont pas moins intelligents que nous, gens éclairés −, que ces hommes aient vu dans le dogme que vous méprisez le sommet de ce qui est accessible à l’esprit humain et la seule chose qui vaille qu’on lui sacrifie la vie ?

  • 29 novembre 1925 (Corr. I, p. 311-312) :

Je suis convaincue que je suis à la place qui est la mienne, je suis reconnaissante d’avoir été conduite sur ce chemin et j’y vais en faisant joyeusement le don de moi-même, sans aucune trace de « résignation ». Naturellement je ne peux penser à Fribourg le cœur joyeux. Vous souvenez-vous que vous m’aviez dit alors que j’étais « trop catholique » ? Je n’avais pas compris ce que vous me disiez. Maintenant je le comprends et je sais que vous aviez totalement raison. Je ressentais les choses d’une manière catholique. Mais parce que le dogme catholique avec ses conséquences pratiques m’était étranger, je ne pouvais pas justifier ce que je ressentais et ainsi la tête et les sens s’unirent pour faire violence au cœur… S’il m’est pénible de vous écrire aujourd’hui − je dois me secouer à chaque fois pour le faire − … cela tient sans doute à ce que vraisemblablement le monde dans lequel je vis désormais et auquel je tiens de tout mon cœur vous est entièrement étranger… Je ne veux naturellement pas couper tout contact avec vous pour cette raison.  

  • 13 décembre 1925 (Corr. I, p. 314-315.)   

Cher ami,

Je ne voulais naturellement pas vous faire de la peine mais j’ai pensé que je devais moi-même me positionner franchement face à ce danger pour que notre relation reparte sur une base saine, et si je vous comprends bien, vous êtes bien d’accord avec moi là-dessus. Je crois qu’il me sera maintenant moins difficile d’écrire. Au demeurant, ce n’est pas tant la différence de nos « visions du monde » qui me dérangeait qu’une certaine animosité qui me semblait poindre dans chaque lettre. Autant le catholicisme est peu « une religion du sentiment », autant il s’agit vraiment ici surtout de la question de la vérité, et donc d’une affaire vitale, d’une affaire de cœur. Et si le Christ est le centre de ma vie et l’Eglise du Christ ma patrie, comment cela ne me serait-il pas difficile d’écrire des lettres où je dois éviter soigneusement de rien laisser transparaître de ce dont mon cœur est plein pour ne pas susciter d’attaques ni de sentiments belliqueux contre ce qui m’est cher et sacré ? Je dois sans arrêt écrire de telles lettres pour ma famille, et je dois vivre ainsi quand je suis à la maison, c’est ce qui me pèse le plus. Quand je peux me livrer sans contrainte, la différence de point de vue n’est pas obstacle à l’échange, même si on se sent naturellement le plus à l’aise avec ceux qui se situent sur le même terrain. − Pour répondre à l’autre question : je ne mets naturellement pas en doute qu’il y ait eu entre nous une réelle amitié − abstraction faite de tout le reste − et que je la considère comme précieuse. Mais quand je revois cette époque, vient toujours au premier plan la disposition intérieure désolée dans laquelle je me trouvais, ce désarroi sombre et indicible. (…) Je suis comme une personne qui a été en danger de se noyer et qui, bien plus tard, se retrouvant dans une pièce chaude et lumineuse où elle se trouve en parfaite sécurité et entourée d’amour, de soin et de mains secourables, revoit devant elle l’image du sombre et froid tombeau de vagues. Que doit-elle ressentir d’autre qu’effroi et reconnaissance sans bornes pour le bras puissant qui l’a saisie  miraculeusement et l’a portée en lieu sûr ? …

Réflexion

Comment le Seigneur est-il un guide pour moi? Si je suis déjà engagé dans la vie, comment mon alliance avec le Seigneur dans le sacrement de mariage, dans le ministère ou dans la vie consacrée, m’aide-t-elle à vivre aujourd’hui et demain?

« Combien de temps avez-vous déjà consacré (depuis le cours de religion à l’école) à étudier le dogme catholique, ses fondements théologiques et son développement historique ? » Cette question sur la formation chrétienne, au-delà des années du catéchisme peut-elle se poser à moi ? Quel est mon désir de mieux armer mon existence avec le « bouclier de la foi » ? 

Philippe de Jésus, ocd (couvent d’Avon)

[1] La Torah ou le Pentateuque sont les cinq premiers livres de la Bible : Gn, Ex, Lv, Nb, Dt.

[2] La phénoménologie est un courant philosophique initié par Edmund Husserl dont Edith a été l’assistante.

Prière de la communauté

Notre Père

Notre Père qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour. Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du Mal. Amen

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2 commentaires

Que vos paroles soient toujours bienveillantes, qu’elles ne manquent pas de sel, vous saurez ainsi répondre à chacun comme il faut. Col 4 : 6

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Carême – Chemin pascal avec Édith Stein

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