Bienheureux Alain de Solminihac - Chapitre 4

Monseigneur Alain a réformé le clergé existant. Mais il ne le juge pas encore capable d’assurer une évangélisation des populations déchristianisées de son diocèse. Il pense donc qu’il faut aller au-devant d’elles afin de leur apprendre les fondements de la foi, à commencer par le catéchisme. Autrement dit, il faut des missions. Au départ, comme il est peu aidé sur place, Monseigneur Alain fait appel à l’abbaye de Chancelade qui se sépare de six chanoines pour venir en aide à son fondateur et toujours Père Abbé.

Celui-ci organise les missions de façon précise : dès l’aube, les prédicateurs vont dans l‘église paroissiale, la foule s’assemble. Trois prédications sont prévues, la première après la messe, la seconde à 10 heures et la troisième à six heures du soir quand les travaux des champs sont terminés. Le catéchisme a lieu après la prédication. Les chanoines circulent dans la nef. On chante. On discute grâce à ce que nous appelons aujourd’hui des jeux de rôles et tout se passe en patois. Puis on prie la Vierge et on chante le Salve Regina. En fin d’après-midi, un examen de conscience précède la confession. Cette dernière n’est acccessible qu’à ceux qui connaissent le Pater, le Credo et les commandements de l’Eglise. Enfin lors de la messe de clôture, la communion vient couronner la journée.

Ces missions sont un succès. Tout d’abord, l’inédit séduit. Ces chanoines, vêtus de blanc, sont inconnus. Ils prêchent avec talent et savent stimuler l’intérêt. Or ils viennent à la rencontre des villageois dans une période de disette spirituelle. La religion, si ancrée dans les familles d’antan, n’est alors plus qu’un souvenir et l’on a soif de la retrouver. Il n’est donc pas rare que le public retienne les missionnaires jusque dans la nuit. Il va parfois jusqu’à dresser des barricades à la sortie de l’église pour les empêcher de sortir. Les conversions sont nombreuses et les réconciliations entre villageois également.

 

De son côté, Monseigneur Alain, apôtre itinérant de son diocèse, visite inlassablement les paroisses de son diocèse. Jusqu’à l’épuisement de ses forces, il va à la rencontre de tous les habitants du Quercy. Levé à trois heures du matin lorsqu’il part ainsi, accompagné d’une escorte des plus réduites, et quel que soit le temps, ces visites pastorales lui tiennent à cœur. Il surveille son clergé souvent si déficient, inspecte les églises, le mobilier et les vases sacrés ( en piteux état à peu près partout au début de son épiscopat) car il attache une grande importance à la beauté des offices religieux. Puis il rencontre ses administrés, sonde les connaissances religieuses, écoute les doléances. Il prêche ensuite, souvent en patois pour être sûr d’être compris, tempête contre les désordres de la paroisse, fait réciter les commandements de Dieu. Il diffuse partour un catéchisme écrit en vers, la rime permettant une meilleure mémorisation. Dans une même journée, il visite ainsi cinq ou six paroisses, parfois neuf ou dix. Ces expéditions ruinent sa santé fragile d’autant qu’il reste sous-alimenté tant il jeûne et se mortifie. Il est souvent victime d’hémorragies dont il se relève dès que les forces lui reviennent avec la même détermination de continuer son apostolat coûte que coûte. Au total, il accomplit sept visites générales de toutes les paroisses de son diocèse. Certains villages l’auront même vu huit fois en vingt ans!

Car la paroisse joue un rôle primordial dans la vie religieuse des populations. L’évêque tient à recentrer sur elle toute la vie du village. L’église est le lieu de sociabilité par excellence, aussi les paroissiens ne doivent-ils pas  se disperser le dimanche. Ce jour-là, toutes les messes sont fixées à la même heure dans tout le diocèse et les offices interdits dans les chapelles et oratoires divers. Ceci permet de canaliser les villageois vers l’église paroissiale, foule dans la nef, curé dans le chœur.

 

Réforme du clergé, missions d’évangélisation, visites pastorales incessantes de l’évêque, le vaste diocèse de Monseigneur Alain fait l’objet d’un maillage serré où vicaires forains, chanoines de Chancelade et lui-même jouent un rôle clé. Il manque encore une composante à cette construction. Pour faire lever la pâte, de nouveaux prêtres sont indispensables et leur formation doit être assurée  grâce à un enseignement théologique adéquat. Que leurs vocations s’épanouissent dans un climat de recueillement où la pratique de l’oraison va affermir leur foi, tel est le vœu le plus cher de l’évêque. En bref, il faut un séminaire !

Le projet requiert de l’argent, des candidats, des enseignants. La première fondation de Monseigneur Alain, faute de ressources, est modeste. Il achète une maison, fait appel à deux curés et à un chanoine régulier pour assurer l’enseignement. Lui-même en est le supérieur, il se consacre de son mieux à cette œuvre mais le temps lui manque.

Au bout de cinq ans, il faut bien conclure à un demi-échec et Monseigneur Alain, loin de se décourager décide alors de changer la formule. Il faut confier l’établissement à une communautés de prêtres et non à des prêtres diocésains. En la personne de Vincent de Paul, il possède, depuis de longues années un ami sûr. Ils correspondent, échangent. En 1625, Vincent a fondé la Société des Prêtres de la Mission qui a pour but d’organiser des missions paroissiales itinérantes, de former de futurs prêtres et de conduire des missions dans les pays pauvres. En 1632, cette Société est transférée dans une ancienne léproserie, l’Enclos Saint-Lazare. Dès lors, ses membres sont couramment appelés lazaristes. Vincent est un homme très écouté.  Il joue un rôle capital dans le choix des nouveaux évêques fait par Mazarin. Il fait partie du Conseil de conscience chargé de gérer les affaires ecclésiastiques et de nommer les évêques. Plusieurs fois, ses candidats sont ceux que Monseigneur Alain lui a recommandés.

Pour l’heure, Monseigneur Alain se rend à Paris pour rencontrer Vincent. Le 4 janvier 1643, il passe contrat avec lui pour confier aux lazaristes les séminaristes du Quercy. Dès lors l’établissement connaît un essor rapide. Monseigneur Alain lui assure une indépendance financière en le dotant des bénéfices de communes de son diocèse. Il fait aussi appel à la générosité du clergé et, sur ses propres revenus, assure à l’œuvre une rente de 500 livres, somme qu’il ne cessera d’augmenter. Il fait construire, sur ses deniers soit 16000 livres, le futur séminaire dans le plus beau quartier de la ville. C’est là que les lazaristes s’installent. A leur tête, un certain François Dufestel dont les qualités sont reconnues. Mais le voilà bientôt qui gémit auprès de Vincent : « Il n’est pas possible de tenir ce poste, tant est rigide et sévère l’évêque de ce diocèse ».  A quoi Vincent répond : « Cher Supérieur, continuez de faire le bien sous les ordres de votre évêque et faites attention que votre évêque est un saint, difficile quelquefois si vous le voulez, mais après tout, c’est un saint ! » Trois Supérieurs vont néanmoins se succéder à ce poste… jusqu’à l’arrrivée de Gilbert Cuissot qui prendra, en 1647, la direction de l’établissement pendant vingt-neuf ans !

Les candidats qui se présentent font l’objet d’un discernement qui tend à séparer le bon grain de l’ivraie, à savoir de mettre au jour les vocations simulées. Elles sont nombreuses et relèvent encore trop souvent d’un intérêt pour les revenus de la charge et non pour la charge elle-même.

Former de jeunes séminaristes est une chose, réformer les prêtres du diocèse, une autre. S’appuyant sur le droit que lui conférait le Concile de Trente de vérifier la capacité de ses clercs, l’évêque n’hésite pas à envoyer se ressourcer au séminaire nombre des ecclésiastiques de son domaine. L’affaire prend du temps et rencontre beaucoup d’oppositions mais Monseigneur Alain tient bon.

Petit à petit, le goût des vertus ecclésiastiques, la qualité de l’enseignement religieux et intellectuel, la pratique des sacrements, permettent aux vocations de s’épanouir dans un environnement qui place les futurs prêtres au cœur de la spiritualité. L’établisssement  compte 35 séminaristes en 1649, ils seront près de 60 quand Monseigneur Alain quittera ce monde. Cette nouvelle génération de prêtres, formée selon la volonté de Monseigneur Alain, est une magnifique avancée dans la réforme du diocèse. Pour l’évêque qui n’a épargné ni sa peine, ni ses deniers, le succès couronne les espoirs : « Je n’ai rien trouvé de plus efficace pour la réforme générale de ce diocèse qu’un séminaire… Par ce moyen, j’ai pourvu mon diocèse d’ecclésiastiques capables et de vie exemplaire… Il semble que ce moyen embrasse tous les autres. »

 

Tous ces efforts de Monseigneur Alain pour qu’une foi vivante anime son diocèse vont être couronnés de succès. En 1656, le pape Alexandre VII accorde un Jubilé que l’évêque organise bientôt. Comme il veut être présent partout où le jubilé sera proclamé, il l’étale sur vingt-deux mois. Il constitue une équipe de seize prêtres dont des savants et des docteurs en théologie pour animer les prédications, les prières, recevoir les confessions, prononcer la bénédiction du Saint-Sacrement. C’est une œuvre d’achèvement où la foi est solennellement proclamée. Elle donne un élan puissant au renouveau de la foi catholique en Quercy. Les centres de ralliement, au nombre de vingt-sept, où convergent les paroisses, sont retenus soit compte tenu des grandes dimensions de leurs églises soit eu égard à leur célébrité, comme Rocamadour. Lors du jubilé, chacun de ces centres est envahi par des fidèles qui déferlent pendant plusieurs semaines, de 600 à 1200 priants par jour. Les fruit du jubilé sont considérables : le duel s’éteint en Quercy, la pratique de l’usure diminue. Facteur de paix sociale, il suscite des réconciliations. Et la courbe des conversions de protestants fait un bond en avant.

 

A 64 ans, meurtri par la discipline, devenu squelettique, Monseigneur Alain n’abaisse pas encore pavillon. Il a réformé le clergé, converti le Quercy, lutté contre les calvinistes qu’il n’a jamais cessé de rechercher et de persuader de se convertir. Avec Vincent de Paul, il s’est également jeté dans le combat contre les jansénistes, lançant une supplique adressée à Rome pour dénoncer l’hérésie, ce qu’ils ont obtenu

Sur le plan politique, Monseigneur Alain a montré une absolue fidélité à la Royauté. Notamment lors de la Fronde. L’évêque, premier personnage du Quercy, a usé de son influence pour maintenir la noblesse quercynoise dans l’obédience royale, ceci malgré les menées du Prince de Condé dans le sud-ouest de la France.

Il est, à présent, bien fatigué. Mais il offre encore au diocèse un baroud d’honneur. Très malade fin février, il repart en tournée pastorale dès le début du printemps pour les derniers jubilés. Jusqu’en septembre, il n’arrête pas, même si des malaises de plus en plus fréquents l’obligent parfois à se reposer quelques jours.

Il trouve encore la force de lutter contre les casuistes. Il s’agit d’une doctrine exposée par un certain Pirot dans son ouvrage : Apologie pour les Casuistes, laquelle autorise des opinions larges et libertines que Monseigneur Alain n’a de cesse de faire interdire. Il y parvient. Le 21 août, l’ouvrage de Pirot est condamné par un décret du Saint-Office.

 

C’est son dernier combat. Il passe les chaleurs de l’été à Mercuès puis déclare : « Je vais faire une visite dans mon diocèse en suite de quoi je mourrai ». Il entreprend donc la tournée des archiprêtrés de Figeac et de Thégra. A Figeac, il prêche encore lors du salut du Saint-Sacrement mais, par la suite, à Gorses, il ne peut plus prêcher et célèbre les offices assis. Après Alvignac, il consent enfin à rejoindre Mercuès, fin septembre. Et maintenant il garde la chambre. Trop faible pour se lever, il essaye de se rendre à la chapelle mais il n’y parvient plus et fait, un jour, une douloureuse chute. On aménage alors un autel dans sa chambre ce qui permet de célébrer la messe devant lui. Au lendemain de Noël, il brûle ses instruments de pénitence et condamne au feu ses écrits. Quelques pièces seront fort heureusement soustraites aux flammes.

Le 30 décembre, se tournant vers son homme de chambre, il précise : « Je mourrai demain sur le midi. »

Le 31, après s’être confessé, il distribue tous les biens de son évêché aux hôpitaux des orphelins et orphelines, à ses chanoines réguliers et à sa famille épiscopale. S’étant dépouillé de tout, il demande à être enterré comme un misérable avec le linceul que les filles orphelines ont coutume de donner aux pauvres par aumône. On le voit rayonner d’allégresse comme il entonne le psaume : « Misericordias Domini in aeternum cantabo (je chanterai éternellement les bontés du Seigneur) ». On pose un crucifix sur sa poitrine. Il demeure perdu en Dieu. Vers 10 heures, il s’exprime : « J’achève mon sacrifice. A midi, je serai consommé ». Dans les derniers moments, il perd connaissance puis il penche sa tête et rend son âme à Dieu.

Quelques instants plus tard, l’horloge du château sonne midi.

 

Alain de Solminihac, déclaré vénérable en juin 1927 par Pie XI, fut béatifié en octobre 1981 par Jean-Paul II. Sa fête est fixée au 31 décembre.

 

Pendant son épiscopat, Monseigneur Alain a connu bien des oppositions et des combats. Il n’a cessé de lutter contre « ces croix », comme il disait, sur son chemin. Mais ces croix ne lui cachent pas Dieu et Dieu les lui fait aimer. Voici ce qu’il dit :

« Nous avons trois trésors dans l’Eglise : les tribulations, l’oraison et le Saint-Sacrement. Les tribulations désemplissent de la créature et purifient l’amour-propre. L’oraison nous unit à Dieu et le Saint Sacrement nous remplit de Dieu Lui-même. »

« M’ôter l’oraison, ce serait m’ôter la vie ! » L’oraison reste le mot-clé de cet ascète mystique devenu évêque malgré lui. Et quel évêque ! Un serviteur de Dieu qui, au plus profond de son cœur, a aussi chéri la Vierge Marie tout au long de sa vie.

Prions- la pour que grandisse toujours en nous l’amour de Son Fils, grâce à l’oraison et à la communion.

 

Je vous salue, Marie…

Prière de la communauté

Je vous salue Marie

Je vous salue Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus le fruit de vos entrailles est béni. Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort. Amen.

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Que vos paroles soient toujours bienveillantes, qu’elles ne manquent pas de sel, vous saurez ainsi répondre à chacun comme il faut. Col 4 : 6

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