Marie Noël

Image de la publication

C'est ici qu'une âme est tombée de Ciel en Enfer.

C'est ici qu'elle s'est débattue à mort sur une sente vertigineuse où personne ne passait.

C'est ici que l'Ennemi la guettait, attendait à l'affût le passage de sa faiblesse et, aussitôt qu'elle a fléchi, s'est jeté sur elle.

C'est ici que la Bête enchaînée en elle a rompu ses liens et hurlé.

C'est ici qu'une fois à terre, toutes ses lâches Douleurs, celles qu'elle avait domptées, vaincues, celles qu'elle avait cru sanctifier sont revenues toutes ensemble pour l'étrangler dans l'ombre.

C'est ici qu'aucun homme ne l'a aidée.
C'est ici que les anges l'ont abandonnée.
C'est ici que Dieu a détourné la tête.
Ici, ce malheur arriva.


Priez !


La sensation aiguë de la fuite du temps fut pendant plusieurs mois étranges, la note fondamentale de ma mélancolie. Une inquiétude métaphysique, tout le monde, plus ou moins rarement, plus ou moins consciemment, l'a éprouvée.

L'instant s'envole, le présent nous échappe, la figure de ce monde passe, chacun s'en est attristé au cours de quelque méditation grave, mais le percevoir continuellement de tous ses sens, à la fine pointe de ses nerfs aiguisés par la maladie, entendre fuir le temps, voir s'évanouir l'apparence, perdre terre dans un vertige, ne plus trouver nulle part rIen de solide pour y assurer, y reposer un moment la perpétuelle oscillation d'une intranquillisable épouvante... tel fut ce mal de l'Automne.

Et cette noire expérience des ténèbres.

"Les choses qui sont n'étaient plus. Je les sentais changer, se défaire, se détruire d'un moment à l'autre... Ces apparences que le commun des hommes tient pour réelles, dès que je les regardais, étaient déjà disparues. L'amitié, la compassion que certains me témoignaient, je les voyais se dissiper comme un jeu de nuages fugitifs du cœur. Je souffrais de leur inconstance, de l'oubli de mes amis, quand leur sympathie parlait encore."

J'ai crié tout haut d'une telle détresse qui m'arrachait la réalité de tout au monde et la sécurité des affections humaines.


Se tuer ? On ne se tuerait pas assez. On ne tuerait pas son âme.

Qu'est-ce que supprimer la chair ?

L'âme malade est plus torturante que le corps. Tant qu'il est fort, il la défend contre elle-même comme une armure. Affaibli, elle se rend à soi-même plus cruelle. Le corps détruit, elle serait peut-être - lame sans fourreau - ce supplice d'elle-même par elle-même... éternel.

Rien n'est, pour la sauver d'elle-même, rien n'est que d'attendre, en patience, la Grâce de Dieu.

ATTENDS !

Il arrive que nous cherchons, dans notre ami, la consolation et qu'elle ne s'y trouve pas aujourd'hui. Il arrive que nous ayons soif et que la tendresse de notre ami oublie aujourd'hui de nous donner à boire.

C'est que la source de douceur humaine n'est pas inépuisable. Le consolateur a, comme nous, son heure de sécheresse. Celui qui nous donne la force manque aujourd'hui de force. Celui qui relève notre joie est tombé, aujourd'hui, de sa joie.

Comprenons-le. Ayons compassion à notre tour de cette pauvreté. N'exigeons rien. Ne réclamons pas sans cesse de l'amitié, de la bonté, le plus dont elle est capable, mais soyons toujours reconnaissants pour le moins dont elle dispose... le peu qu'elle a et nous donne.

Et sachons attendre. L'instant vient où la grâce de l'ami lui sera et nous sera rendue.


Ce qui passe n'a pas d'être. Ah ! trouver quelque part un point éternel de demeure !

Dieu ?


Mais peut-être est-Il seulement l'impulsion première du mouvement qui tout emporte.


«La raison qui est une force de la pensée ne peut rien contre la passion qui est une force de la nature.»

Qui a dit cela dont je me souviens aujourd'hui?

Il n'y a pas de force humaine contre la passion.

Il y a Dieu... Pas un Dieu renfermé d'oratoire.

Dieu, dans son infinie intelligence qui sait l'âme, qui sait le corps, qui sait l'homme, qui sait la femme, qui sait la chair et le sang...

Dieu dont l'Ordre maintient une distance inviolable entre les astres qui s'attirent.

Les forces de la nature - la passion en est une -ne sont dans la Création que des forces dominées. Toute l'harmonie du monde est dans cette victoire: nn chaos qui a trouvé son maître.

Et Dieu dit à la mer: «Tu n'iras pas plus loin.»

L'harmonie de l'homme est la même victoire, la même domination sur le même chaos.

Il n'y a pas non plus d'œuvre d'art sans maîtrise de l'esprit.

Au commencement est le chaos, la mêlée obscure des richesses infuses.

Puis le vent souffle sur l'abîme, suscite les pensées, ébranle les émotions, rythme les paroles intérieures. C'est l'inspiration.

L'intelligence survient, trie, choisit, sépare, ordonne. Elle donne à chaque élément son nom, sa place, ses limites:

«Ici, l'eau, ici, la terre... Tu n'iras pas plus loin.»

Ici, le jour, ici, la nuit... Tu ne dureras pas plus longtemps.»

«Ici telle pensée, tel trait, telle parole, tel son. Et péris, toi, qui es de trop. Et sois la dernière, toi, trop prompte, qui la première t'es présentée. Et dépouille-toi, toi, trop parée, abstiens-toi, prends la discipline...»


J'ai horreur de l'incontinence sentimentale... des gens qui font tout leur cœur sous eux. Mon cœur, je n'en parle pas. Je le tais ou je le chante.

Famille d'autrefois en province, composée de gens qui retombent - les femmes surtout - indéfiniment les uns sur les autres.

Figurants toujours les mêmes aux cérémonies, ils se retrouvent, fidèlement joyeux le matin du jour de l'an et le jour de la Toussaint, fidèlement tristes. Ils sont rassemblés tous, en grande tenue, dans la maison de la mariée, et tous accourent en même temps à la «maison mortuaire» pour «faire les démarches» et les billets d'enterrement.

Entre temps ils - elles - se surveillent, se jalousent, se gênent mutuellement, se jugent, se jaugent, se pèsent sans trouver le bon poids. «Telle parente en entrant chez l'autre fouille de l'œil l'armoire qui baye, épie l'odeur de la cuisine, regarderait - s'il se pouvait - sous tes jupes, sous tes ongles, en s'informant de tes nouvelles...

Ces proches, bienveillants ou non, se prêtent main-forte en bons alliés dans les cas de malheurs officiels, décès, accouchements, accidents, maladies, mais comme nul d'entre eux, au fond, ne connaît l'autre - et bien moins que les étrangers - ils ne sont d'aucune ressource dans les crises profondes, aux heures mystérieuses du mal vrai.

Ils ne sont là, alors, que pour imposer à la douleur, un masque, un silence, une bonne tenue.

Il s'agit de leur celer le grand danger qui ne dit rien, la détresse dont on va mourir et jusqu'à la pâleur de son visage.


Ce moi, le plus vrai de moi, le moi d'avant moi et d'après: l'Inquiétude.

Quand Dieu a soufflé sur ma boue pour y faire prendre mon âme, Il a dû souffler trop fort. Je ne me suis jamais remise de ce souffle de Dieu. Je n'ai jamais cessé de trembler comme une chandelle vacillante entre deux mondes.


Je flotte dans l'ombre comme un noyé à demi qui, de temps en temps, remonte encore à la surface. Je me raccroche comme je peux aux débris épars de ma foi.

Mais que faire ?

Dans l'espèce de gouffre où j'ai plongé l'an dernier, j'ai entrevu Dieu et je ne peux plus l'oublier... Dieu !... mais pas le Dieu que je connaissais intimement depuis l'enfance, le Bon Dieu, «Notre Père»,... mon Ami,... Non ! un Autre !

Un Autre qui était caché derrière et si terrible que ma raison a vacillé. C'est Celui qui n'a inscrit qu'une seule Loi sur ses Tables silencieuses: «Tu tueras... tu seras tué» et qui n'a jamais pris la peine de l'expliquer autrement que par la marche implacable de l'Univers. A quoi bon? Il nous gouverne plus sûrement dans l'obscur de nos instincts que le Verbe-Dieu par ses révélations et le consentement de nos pensées.

C'est Lui, le Maître qu'il est inutile de prier, qui nous pliera, nous détruira malgré tout espoir, quand Il voudra, à son heure. Nous sommes pris d'avance à son piège. N'importe quel chemin nous y mène.

Nous croyons être bien prudents, bien courageux... Nous avons écarté de nous tel danger, guéri laborieusement telle maladie, apaisé en nous telle violence, résisté à tel désir, refréné tel appétit, organisé sagement notre vie comme si elle devait durer, notre bonté comme si elle devait compter, notre vertu comme si elle était une œuvre importante et définitive. Nous avons triomphé du malheur - d'un moment de malheur - nous avons dominé telle épreuve. Ah ! nous avons bien lutté, comme la petite chèvre de monsieur Seguin: «Elle s'est battue toute la nuit et, le matin, le loup l'a mangée.»

Et pour finir, c'est Lui, le Sans-Nom, l'Inconnu, c'est Lui qui l'emportera au dernier mauvais quart d'heure.

Il a tenu notre Dieu, notre Christ accablé devant Lui dans le Jardin, à l'heure de la «Puissance des Ténèbres». Il ne nous laisse d'autre perspective pour l'au-delà que celle du trouble et de la douleur continués (car comment penser que cette Intelligence, cette Force, qui tend à l'Unité dans toute son œuvre, aura construit cette part-ci du monde et cette autre part hors de nos yeux, sur deux plans opposés: le Mal ici, le Bien là-bas... ce que nous appelons Bien, notre Bien; car peut-être notre Mal est-il son Bien à Lui? Et peut-être tout est Bien quand Il le regarde).

Oh ! je ne me révolte pas. Jamais je ne me suis révoltée. Il est grand ! Je l'adore, je m'incline, aussi religieuse maintenant que jadis, devant sa pensée infinie dont je suis victime. Et j'accepte avec une sérénité sans espoir d'être, moi, le rien, sacrifiée à ses fins. Il me semble que si j'étais une pauvre pièce de toile, je me soumettrais ainsi avec une douleur affectueuse et docile à la torture des ciseaux et de l'aiguille, par respect et aveugle amour pour le chef d'œuvre inconnu de l'ouvrière.

Ce sentiment-là, ce doit être aussi une piété.


J'ai cherché un pays pour vivre. J'ai longtemps marché, je vieillis, je ne l'ai pas trouvé encore.

Je cherche un pays pour mourir.

J'y veux un grand soleil pour qu'en m'endormant mon cœur ait chaud, j'y veux une terre douce et secrète qui me prenne, me couvre, me cache.

O bonne terre, tous m'ont fait mal - mes amis plus que les autres - mais ne le dis à personne. Sur moi fais pousser l'épine pour que nul ne trouve ma tombe et que n'y puissent couler sur moi les larmes de ceux que j'aimai, leurs gentilles larmes sans douleur... Elles me feraient trop mal encore.

Laisse plutôt tomber sur moi la longue pluie triste, la pluie vraie.


C'est la maladie qui m'a appris que je n'étais pas réelle, que je n'avais ni stabilité, ni durée. Je me suis vue comme une succession d'apparences incessamment dissipées par le mouvement éternel qui tout emporte.

Depuis, j'ai eu de la peine à renouer ensemble les deux notions d'individualité et d'immortalité qui, me semble-t-il, s'excluent.

CHEMINS

Qui veut aller à Dieu ? Tous les chemins sont bons.

Certains ont la religion des pas et des yeux, la piété naïve et charmante des sens. Ils partent en pèlerinage aux grands sanctuaires et en rapportent des souvenirs - quelques gouttes d'eau sacrée, des médailles, des rosaires. Ils achètent, rue Saint-Sulpice, de belles statues peintes pour leur paroisse, s'ils sont riches, et de petites Saintes Vierges pour leur chambre, s'ils sont pauvres.

D'autres accordent pieusement leur ferveur aux sons prolongés de l'harmonium, ils goûtent les cantiques suaves avec une seconde partie à la tierce.

Ceux-là et d'autres sentent et rêvent. Ils appellent Jésus leur Bien-Aimé. Ils s'attardent délicieusement vers le soir, les mains jointes, les yeux clos, dans la pénombre des églises.

D'autres, plus secs, moins heureux, vont à Dieu par seule pensée. Leur prière n'a que faire d'images. Elle monte à Dieu tout droit, à pic, même sans Le voir.

Parfois, les dévots les jugent impies. Et parfois, eux aussi pourraient être tentés de prendre les simples pour des sots. Qu'ils s'en gardent! Dieu est en tous.

Il a fait des chemins pour tous, pour les pieds - même pour les pattes - et pour les ailes. Des sentiers terre à terre avec des fleurs et des épines, des mûres et des fraises des bois pour les chères petites âmes, et le plein ciel vertigineux où les âmes de haut vol s'aventurent à planer dans le vide et l'effroi des infinis espaces.

Il a fait des chemins pour toutes les heures. Quand les grands oiseaux sont las, une branche les repose, une fleur les apaise, un chant les calme. Quand les prières ont peur, se croient perdues, la lueur d'un cierge les rassure.

Ah ! qui donc aura plus que moi, petite, mis brûler des cierges et prié près des fontaines de Marie ?


Deux principes contradictoires.

Un seul bien - l'Amour. Un seul mal - l'Orgueil.

L'Amour, celui que nous appelons Dieu.

L'Orgueil, celui que nous appelons Lucifer, le Prince du Monde, la Puissance des Ténèbres... PuissancePrince - Force - Lumière noire.

L'Amour - l'Être qui donne, qui se donne, ne s'enrichit qu'en donnant pour donner toujours davantage.

L'Orgueil - l'Être qui convoite, prend et détruit tout autour de lui pour s'accroître - soi seul.

Le Ciel - ou l'Enfer - n'est pas un lieu mais un état d'âme.

Le Ciel: l'Amour qui continue. Éternel.

L'Enfer: l'Orgueil qui continue. Éternel.

Par l'Amour et par l'Orgueil, le Ciel et l'Enfer sont Ciel et Enfer dès ce monde où chaque âme choisit et édifie sa béatitude ou sa damnation.

La Mort arrête l'édifice. Le Jugement enregistre le choix.

Dieu n'y peut rien.

Et pourtant il faut que Dieu puisse, s'Il veut rester Un, il faut que Dieu veuille gagner sa guerre éternelle et ramène au Royaume d'Amour tous Anges et toutes âmes, hors de l'Orgueil anéanti.
Courbet desespoir

La Mort


désordonne ce qui fut ordonné,
décompose ce qui fut composé,
détruit ce qui fut construit aux fins d'une vie.
C'est le retour au chaos du commencement, à la mêlée élémentaire d'avant les six jours.

Puis, de nouveau, intervient le rythme créateur pour le re-commencement, la re-composition, le regroupement des éléments épars aux fins d'une vie nouvelle.

Passer de l'ordre du corps animal à l'ordre du corps végétal. De cadavre, devenir herbe.
La Mort, l'ordure sacrée qui nourrit les fleurs pures.


Tous meurent. Nul ne sait mourir.
Mourir est l'ouvrage pour lequel il n'est ni apprentis sage, ni expérience.
Les vivants connaissent «l'avant» de la mort, ses préliminaires, l'agonie.
Les croyants, par foi, envisagent «l'après»...
Mais entre l'avant et l'après est la minute sans lumière éternellement secrète.

Là est l'horreur inconnue.

*************
Les gens du dehors s'étonnent. Le dépouillement du saint, la concentration de l'artiste les déconcertent. Ils y voient un appauvrissement. C'est une sublimation.


Le silence à la longue devient si étouffant que je ne sais où me jeter pour m'en alléger, pour en sortir.
Seule, le soir, dans ma chambre, j'appelle à moi un compagnon imaginaire... je me laisse croire que mon parrain est entré ou, faute de lui, je ne sais quel confident sans nom ni visage auquel je me livre.
Je lui raconte tout haut ce qui me pèse tout bas. Il m'écoute et je me réponds à sa place en me consolant doucement comme, s'il était réel, il pourrait faire.
L'entretien se prolonge... Parfois j'en oublie de me coucher, de m'endormir.
Quelqu'un qui surprendrait par hasard ce dialogue à une seule voix, croirait que je suis égarée.
C'est seulement que je cherche à déposer un moment mon fardeau de solitude.

J'ai tellement besoin d'un ami que je l'invente.


Un être qui semble bon, qui l'est, avec des générosités, des délicatesses enfantines et qui tout à coup - souvent - n'est plus rien qu'une bête méchante qui grince, mord, cherche la moelle de sa victime pour la blesser là avec délices.

Que faire devant un tel être? Fuir.

Et s'il est trop proche, s'il n'est pas possible de fuir, se ceindre d'un triple calme, d'un triple silence, tenir son âme comme une huître durement serrée entre deux coquilles de pierre. Il cherche à glisser le couteau, il s'attaque au silence, il trouve de quoi mordre dans ce calme, dans la douceur, la bonté même. Le don d'autrefois, aujourd'hui, lui est grief.


A dix-huit ans, j'ai vendu mon esprit à Dieu comme d'autres vendent leur âme au Diable.

En ce temps-là j'étais gauche, laide, chétive, honteuse comme «le vilain petit canard», mais j'avais de l'esprit... un esprit clair, gai, vif, aigu qui piquait, mordait sans miséricorde.
Dès qu'un pauvre ridicule se risquait à ma vue, je le happais au vol et je le fixais d'un mot drôle comme on fixe d'une épingle un insecte sur un bouchon.
Cela m'amusait beaucoup et faisait rire la compagnie. Mais mes cousins me jugeaient «rosse» et mon frère m'appelait «vipère»! Il eût mieux fait de dire moustique ou guêpe...

Un beau jour, je les ai crus et je me vis telle que j'étais avec mon méchant dard. Une chrétienne pouvait-elle s'endurer ainsi ?
Remords.

Je m'en expliquai un matin avec Notre-Seigneur dans la petite chapelle de la Vierge, à Saint-Pierre. Renoncer à mon esprit ? Sans lui, que me restait-il ? Je n'avais ni beauté, ni charme, rien pour plaire. Le sacrifier ? Je ne pouvais m'y résoudre. Il m'en coûtait trop. Il m'en coûtait tout.

Dans ma conscience, Dieu attendait avec un air de reproche. C'est alors que me vint l'idée - peut-être, Il me la souffla - de Lui céder mon esprit contre indemnité.
Je le Lui ai vendu. Cher ! Sans faire de prix. Dieu est riche. Dieu est juste. Je comptais qu'Il paierait bien.
Une fois le marché conclu - je suis honnête en affaires - je n'osai plus me servir de l'objet que j'avais cédé.
D'abord, je parus contrainte, empruntée comme quelqu'un frappé d'infirmité subite. Le mot me volait aux lèvres plus vite que ma volonté, je serrais les lèvres, je le ravalais à moitié dit. Ce n'était pas toujours commode.
Mais l'accoutumance m'aida de plus en plus. Et je suis devenue peu à peu la douce petite vieille fille ni vue, ni connue à laquelle personne ne faisait attention, ni à la maison, ni en ville... pas plus attention qu'à une allumette éteinte...

Marie
Vingt ans passèrent. Vint le succès, singulier, inattendu... Indemnité ? Compensation ? Qui sait ce que m'a donné Dieu en échange de ma malice ?

Pas l'amour. Pas le bonheur.

Le don de Poésie ? Mais je l'avais d'enfance.

Je croirais plutôt que c'est un don de nouvelle vue pour apercevoir du premier coup, au lieu de leur ridicule, la fleur et le miel des gens, même en ceux qui n'en ont pas. Si bien qu'à présent je les aime tant, même ridicules, sots et médiocres, que je puis de nouveau jouer avec ma malice simplement pour m'amuser, sans faire de mal à personne.


Ces incroyants, mes voisins. Ils n'ont pas besoin de Dieu. Sans Dieu, ils ont tout : la beauté, le charme, l'intelligence, le talent, les amitiés précieuses, la grande réputation, les honneurs.
Et aussi la valeur rare. Et aussi, par bonté gracieuse, la volonté et le pouvoir de faire le bien.

Une seule chose leur manque : la faim.

C'est sans doute une grande misère que d'être constamment rempli, rassasié.


Pour la sainteté, le don de Dieu ne suffit pas. Il faut aussi le don de l'homme. Sans réserve...
J'ai toujours gardé dans l'âme, une mesure, une modération. Et ce sont mes petites sagesses qui ont retenu en moi la folie des saints toute proche.
Trop de sagesse ? Non ! Trop de folies à la fois, trop de vocations, trop de routes, l'amour humain, la poésie, la prière. Je me suis prodiguée en offrandes contradictoires.
Il eût fallu viser un seul but, choisir une seule voie: Dieu seul, et rejeter tout le reste... Mais, le reste, je l'aimais trop, je n'ai pas voulu rejeter rien... j'ai suivi à la fois toutes mes routes, tantôt le ciel, tantôt la terre. Et je n'ai fait qu'une vagabonde entre terre et ciel.

Rapports intellectuels entre catholiques et non-catholiques
Il y a dans le catholique un être satisfait, supérieur celui qui possède la vénté - plein de sécurité et de certitude. S'il s'incline vers l'autre pensée - il s'incline - c'est pour la sauver, c'est-à-dire la circonvenir, la séduire, la gagner à Dieu. Elle n'est pour lui qu'un objet de compassion ou de conquête. Il l'aime par miséricorde. Il la méprise par foi.

Aucun échange possible. Un catholique donne. Il ne reçoit pas. C'est en quoi je suis mal catholique. Toute âme est mon égale. J'ai donné de mon mieux à tous le peu de lumière que j'avais, mais j'ai aussi - et de toutes sortes de gens - beaucoup reçu.

Avais-je bien la foi?


Ces pensées cueillies çà et là au hasard de la rencontre - une prune sur le prunier, sur le pommier une pomme, c'est curieux comme rassemblées et s'en allant en procession, elles me paraissent insupportables

Trop de gens sérieux dans le même clos. On n'y voit plus ni herbes, ni fleurs.
Mais j'ai mon jardin ailleurs où sont mes fleurs et mes herbes... Et tous mes oiseaux.

J'aurais dû écrire aussi mes folies, mes gaietés ou n'écrire rien. Mais quand on est folle ou gaie, a-t-on besoin d'écrire? Cette écriture n'était qu'une écriture de secours dans les jours mauvais. Un remède... une purge !


Dieu m'est doux, parfois, et je suis portée par Lui comme un petit nuage par le temps bleu, comme un duvet par une brise...
Mais, parfois Dieu m'est terrible, quand je n'aperçois plus en Lui ni visage, ni cœur, ni Fils, ni Père, rien que cette nuit sans bornes, cette hauteur de ténèbres sans degrés où j'ai la respiration coupée.

Quand j'étais petite j'avais peur en me penchant sur la profondeur des puits, en pénétrant sous la hauteur démesurée des cathédrales..., mais quelqu'un alors était là, une main qui prenait la mienne, une voix qui mesurait pour moi les vertigineuses allées. Je suis toujours petite et je n'ai plus personne.


Je n'ai pas confiance dans la Mort. A cause de la Vie. Qui a épargné les vivants? Qui épargnera les morts? La Mort et la Vie ne sont que l'endroit et l'envers de la même trame.


Les deux poèmes de moi que je préfère: Chandeleur et Chant de la Divine Merci. Dans Chandeleur, je ne sais comment, plusieurs sens, plusieurs fils de pensée s'entrecroisent.

Il y a, très visible, la procession des cierges, le long, morne, mystérieux défilé des destinées humaines.

Il y a aussi l'offrande de l'enfant.

L'enfant est le seul don de l'homme à Dieu. Mettre un enfant au monde est le seul sacrifice.
Courbet desespoir

ENTERREMENT DE PREMIÈRE CLASSE
Auxerre, Décembre 1936.
Le Mort recevait pour la dernière fois en grande cérémonie. Les invités allaient le saluer, l'un après l'autre à l'entrée de sa maison et revenaient attendre dans le jardin brumeux qu'il sortît devant eux pour aller à la messe. C'étaient pour la plupart des gens considérables, comme l'avait été le Mort, et ils formaient, dans les allées, des groupes distingués que les autres gens du commun regardaient à distance: manteaux et pardessus de la meilleure coupe, fourrures de prix, chapeaux «chic», chaussures fines, uniformes haut gradés, galons d'or, rubans, rosettes... On se nommait à voix basse le député, le conseiller général, le colonel, le directeur de la Banque, le grand industriel, le grand chirurgien, toute la haute société en grande tenue.

Parfois quelque personnage toussait, éternuait, se mouchait discrètement. Il faisait un froid patient et morne. Les faces étaient blêmes, jaunes, rouges, violacées. Chacun, sous son bel habit, avait apporté et dissimulait bravement son infirmité ou sa maladie. Sous le pardessus décoré, il y avait une cystite, sous le manteau d'astrakan, un eczéma secret. Les toquets de velours, les feutres de prix coiffaient une anémie cérébrale, ou une surdité, ou une sclérose. Là voisinaient, sans se le dire, les rhumatismes, la gravelle, une hernie, deux ou trois asthmes, quelque vilain petit ulcère, un cancer naissant, un poumon gâté, une artère prête à se rompre, toute une assemblée de tout jeunes ou plus avancés commencements de morts, mais aucun ne trahissait sa présence par le moindre signe et les habits et visages de cérémonie se comportaient sur eux avec une suprême correction, en habits et visages de gens importants qui n'ont jamais entendu ni laissé parler - non jamais, vraiment ! - de déchéances humaines.

Importants, ces gens causaient. Ils parlaient d'autres choses, leurs choses importantes. Il se fit un silence. Le Mort sortait.

Lui aussi avait grand air et tenait soigneusement enfermées sa silencieuse immondice et la dégradation totale de sa chair. Avec son magnifique cercueil neuf et reluisant, ses draperies de velours, ses broderies d'argent, il se présentait avec une extrême dignité au milieu des serviteurs galonnés qui s'empressaient autour de lui et le mettaient en voiture.

Quand ils l'eurent tout couvert de fleurs, entre ses amis décorés, majestueusement, il partit. Et derrière lui, en grande tenue, d'un pas cérémonieux et grave, toutes les maladies et décrépitudes suivirent.

Marie Noël : Notes intimes
Editions Stock (1920-1933)
Marie-Noel

Marie-Noël à Auxerre, décembre 1936.

Poésie et Musique
« Pourquoi n'avons-nous pas en poésie des demi-soupirs, des soupirs, des pauses, des points d'orgue pour marquer le temps plus ou moins prolongé de ces silences qui sont presque tout en poésie comme ils sont tout en musique (…) En vers, un point, une virgule qui indiquent l'arrêt du sens n'ouvrent pas assez d'entrée et de durée d'un silence. Faute de mieux j'ai souvent employé le point suspensif (…) On ne pourrait pas régler par le nombre de points suspensifs la durée plus ou moins pathétique du silence ? mais ce serait toute une révolution ! »


Texte écrit par Jacqueline Frédéric Frié

Je remercie Madeleine du fond de mon coeur.

Je vous remercie pour votre lecture, pour vos prières, vos impressions, vos poèmes, vos mots/maux/joie et également vos photographies, vos desins ou vos musiques préférées.

Ces temps je n'arrive pas à trop à sortir de chez moi de ce fait je photographie mon monde immobile, c'est joli je trouve :-)

Soyez tout bénis.

Amen

@Bénédicte

Prière de la communauté

Prière de la sérénité

Mon Dieu donnez-moi la SERENITE d’accepter les choses que je ne peux changer ; le COURAGE de changer les choses que je peux changer ; et la SAGESSE d’en connaître la différence.

Merci ! 2 personnes ont prié

4 commentaires

Que vos paroles soient toujours bienveillantes, qu’elles ne manquent pas de sel, vous saurez ainsi répondre à chacun comme il faut. Col 4 : 6

loader

Voyage immobile

Je m'inscris