Saint André-Hubert Fournet - chapitre 2

 

Petit bourg paisible bercé par le murmure des eaux de la Gartempe, Saint-Pierre de Maillé semble a priori devoir rester à l'écart de la tourmente révolutionnaire. Le bourg existe depuis si longtemps que tout paraît immuable. Son passé remonte au paléolithique où des grottes furent occupées, un dolmen édifié. L'époque gallo-romaine livre encore les restes de la via Poitiers-Châteauroux et quelques vestiges de sculptures témoignent de l'existence de temples païens. Le temps y semble figé. A l'époque du Père Fournet, le bourg compte plus de deux mille habitants, sa situation à l'écart des villes de quelque importance paraît le garant de sa tranquillité. L'activité y est essentiellement agricole comme elle l'est demeurée aujourd'hui. 

Cependant le Père Fournet et ses ouailles ne peuvent échapper aux décrets et obligations auxquels est soumise toute la nation. Certes, les nouvelles parviennent au village avec quelque retard mais elles finissent par arriver... 

C'est ainsi que l'on apprend avec stupeur que l'Assemblée Constituante, par un décret du 12 juillet 1790, a institué une nouvelle Eglise. Cette réorganisation du culte n'a pas requis l'approbation du pape Pie VI qui s'est empressé de la condamner. Dès lors, le clergé français est divisé en deux : constitutionnel d'un côté, réfractaire de l'autre. Le temps presse. Les prêtres sont tenus de prêter serment à la nouvelle Eglise avant le 4 janvier 1791. A Maillé s'est installée une société jacobine des Amis de la Constitution qui veille à l'application des décrets. 

Obligé de prendre parti, André-Hubert Fournet, fidèle au pape, ne prête pas serment, à l'exemple de la moitié des prêtres de la nation et de la quasi-totalité des évêques (sauf quatre). 

Un prêtre jureur, M. Chrétien, le remplace à l'église Saint-Pierre. Ce prêtre assermenté se montre bon prince et propose à son prédécesseur de lui offrir un logement dans le presbytère. Mais ce dernier refuse et se retire dans la propriété de son oncle Antoine, aux Vaux, où sa mère et sa sœur Catherine ont déjà trouvé refuge. Dans les premiers temps, il peut librement continuer à administrer les sacrements mais, comme il fait de l'ombre à son remplaçant, celui-ci lui fait interdire, par l'autorité civile, l'exercice de son sacerdoce. 

A mesure que le temps passe, l'abbé Fournet va devoir se cacher pour échapper au sort terrible réservé aux prêtres car les persécutions prennent de l'ampleur.

Les mauvaises nouvelles se succèdent en effet à mesure que s'enchaînent les décrets de déchristianisation. La Terreur est néfaste à l'Eglise catholique. Tous les couvents et monastères sont supprimés, les moines et moniales chassés. De mai 1793 à novembre 1794, les églises sont fermées. Dans ce chaos, les prêtres réfractaires vont survivre au jour le jour, en se cachant, voire en s'expatriant.

Car la répression dont sont l'objet les prêtres réfractaires est atroce. En 1794, huit cent vingt-neuf prêtres et religieux sont acheminés vers Rochefort afin d'être déportés en Guyane. Ils sont entassés sur des pontons (autrement dit des prisons flottantes qui avaient servi auparavant de bateaux négriers) dans des conditions sanitaires effroyables. Privés de tout, en butte aux moqueries et aux mauvais traitements, les martyrs, sur le point de mourir, répondent à leurs bourreaux par la prière et le pardon. Les pontons quittent Rochefort pour jeter l'ancre près de l'île d'Aix, en Charente. Ils n'iront pas plus loin. Parmi eux, un prêtre de Saint-Pierre de Maillé, l'abbé Riom, vicaire à Saint Phêle. Le souvenir de ces nombreux martyrs est resté très vif dans l'Eglise. Tous n'ont pu être identifiés. Le pape Jean-Paul II a béatifié soixante-quatre d'entre eux en octobre 1995.

André-Hubert Fournet n'a qu'un désir : rester dans sa paroisse. Bien sûr il se cache, un jour à un endroit, le jour suivant à un autre, mais toujours sur les terres de la commune. Il peut donc suivre ses paroissiens, les conseiller, les confesser jusqu'au jour où l'évêque estime que le danger devient trop important, aussi bien pour le pasteur que pour ses ouailles et il fait savoir au Père Fournet qu'il doit se résoudre à l'exil.

Avec d'autres prêtres poitevins, il part à Saint-Jean-de-Luz afin de gagner Saint-Sébastien, en Espagne. Là, le petit groupe embarque et se trouve très vite pris dans une terrible tempête au point que le bateau risque de faire naufrage. Le Père Fournet accourt sur le pont et, face aux flots déchaînés, fait le signe de croix. Le calme revient à l'instant et tous sont en admiration devant ce prêtre qui renouvelle le miracle du Christ apaisant la mer en courroux. A leur arrivée, les prêtres exilés sont répartis dans différents diocèses. Le Père Fournet se voit attribuer Los Arcos, petite ville de la Navarre espagnole, située sur le camino frances du pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle. Sa réputation de sainteté y grandit. « Don André » visite malades et prisonniers, il prie constamment à l'église et il écrit. Car il ne cesse de communiquer avec ses paroissiens par une voie clandestine et leur adresse des sermons ! Cent cinquante ans plus tard, sa réputation de sainteté était encore vivace à Los Arcos.

 En juillet 1797, il apprend que les persécutions connaissent une accalmie et il en profite pour rentrer en France. Il arrive à Poitiers, bravant de multiples dangers car, entretemps, elles ont repris avec une fureur accrue. Il rencontre une personne de sa famille qui s'affole de le voir de retour et s'écrie : « quelle folie ! La guillotine est en permanence, vous vous exposez à une mort certaine. » Et le Père Fournet de répondre : « celui qui m'a conduit jusqu'ici saura bien me délivrer » et il regagne sa paroisse. Il ne peut revoir sa mère, décédée en 1795, mais il a la joie de retrouver sa sœur Catherine, hébergée chez un forgeron.

Il doit repartir en Espagne ce que lui signifie la municipalité d'Angles-sur-l'Anglin devant laquelle il est tenu de comparaître, son retour étant connu en haut lieu. Un laisser-passer lui est délivré à cet effet. Il a valeur d'un ordre.

Le Père Fournet n'en tient aucun compte. Il est désormais traqué de toutes parts. Souvent près d'être pris, il échappe au dernier moment à ses poursuivants. Ses hôtes occasionnels déjouent les pièges, ou encore la vénération qu'il inspire décourage les sbires chargés de le prendre. En maintes circonstances, des interventions miraculeuses lui permettent de sauver sa tête.

Celle-ci est d'autant plus précieuse que le bon père a vite appris que non seulement Maillé mais toutes les paroisses avoisinantes se retrouvent sans pasteur. Il s'en occupe donc avec zèle. Angles-sur-l'Anglin, Vicq, Archigny, La Bussière, La Puye, toutes reçoivent ses visites, souvent nocturnes. A Vicq, il organise de nuit une cérémonie de Première Communion regroupant soixante-quinze enfants dans un hameau de la commune. Il dit la messe un peu partout, toujours de nuit. Ce qui lui fera déclarer beaucoup plus tard : « ah ! J'ai dit bien des messes de minuit dans ma vie. » Il réside le plus souvent sur la commune de Maillé même, dans l'un ou l'autre des hameaux qui la composent. L'un d'eux, appartenant à sa famille, a sa prédilection. C'est celui des Petits Marsillys, domaine qui possède une vaste grange. Elle devient son église clandestine. C'est là qu'au début de l'année 1798, il voit arriver de nuit, conduite par un vieux serviteur, Jeanne-Elisabeth Bichier des Ages. La jeune fille est simplement mise mais ses manières ne le trompent pas. Après la messe, il confesse un à un tous les fidèles, qu'il juge davantage pressés que cette pénitente de retourner à leurs diverses tâches. Elle a le temps d'attendre... et, de fait, elle attend patiemment. Quand vient enfin son tour, à l'aube, et qu'elle se confie, il est ébloui par la beauté de l'âme pure et généreuse de la jeune fille. La Providence la lui envoie. 

Caché, terré, il lui arrive de sortir dans la journée si un mourant a besoin de son secours. Pendant cette terrible période, le Seigneur veille sur ce bon serviteur qui déclare « Si, pour sauver les âmes, il me fallait marcher sur des lames de rasoir, je le ferais sans hésiter ! »

Ce bon prêtre, si dévoué à ses paroissiens, va bientôt pouvoir se montrer au grand jour et retrouver sa chère paroisse de Saint-Pierre. En effet, Le Concordat, signé en 1801 entre Napoléon Ier et le pape Pie VII, va renouer les liens entre le pape et l'Eglise de France. Le traité stipule que la religion catholique n'est plus la religion d'Etat mais qu'elle demeure la religion de la majorité des Français. Les évêques, choisis par le gouvernement sont investis par le pape. Les biens de l'Eglise, confisqués pendant la Révolution ne sont pas restitués. Les évêques et les curés sont payés par l'Etat. Enfin, même s'ils ne sont pas directement concernés par le Concordat, les moines et moniales peuvent réintégrer leurs couvents.

Le Père Fournet retrouve donc son église – mais pas son presbytère dans l'immédiat. Sa charge est accrue du fait de la disparition de la paroisse de Saint-Phêle, Maillé regroupant désormais Saint-Phêle et Saint-Pierre. Elle l'est surtout du fait du relâchement des liens paroissiaux, des convictions révolutionnaires encore vivaces chez certains, d'une pratique religieuse abandonnée par la plupart des gens. La tâche est immense. 

« Celui qui est juste doit devenir encore plus juste » écrivait le Père Fournet à sa sœur Suzanne.

Vaste programme ! d'abord être juste, puis le devenir chaque jour davantage sans ménager son effort. Ce fut le choix du Père Fournet qui s'est engagé toujours plus avant par amour de son prochain et au mépris du danger. C'est la voie difficile qu'il propose, où nous pouvons cheminer avec lui.

Prions.


Prière de la communauté

Je vous salue Marie

Je vous salue Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus le fruit de vos entrailles est béni. Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort. Amen.

Merci ! 150 personnes ont prié

2 commentaires

Que vos paroles soient toujours bienveillantes, qu’elles ne manquent pas de sel, vous saurez ainsi répondre à chacun comme il faut. Col 4 : 6

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