Sainte Jeanne de Chantal - chapitre 1

Sainte Jeanne de Chantal

1572 - 1641

En cette année 1577, Bénigne Frémyot est un homme en vue et respecté dans la bonne ville de Dijon. Issu d'une noblesse de robe, il est président à mortier au Parlement de Bourgogne (sous l'Ancien Régime, l'une des charges les plus importantes de la justice). Profondément croyant, il adhère à cette devise que sa famille vient d'inscrire sur son blason : « Sic Virtus Super Astra Vehit » (ainsi  la vertu élève au-dessus des astres).

Veuf depuis peu, il élève ses trois enfants dans la foi chrétienne, une foi profondément ancrée chez les siens en cette période troublée où l'hérésie protestante gagne du terrain.

Ce jour-là, dans son bureau, il reçoit un visiteur et les deux hommes sont lancés dans une profonde discussion. Avec courtoisie et fermeté, Bénigne tente de convaincre son hôte, un seigneur protestant, de l'erreur qu'il commet en adhérant à cette nouvelle religion. Celui-ci rétorque :

- Ma foi ! Je me félicite grandement de ne pas croire à la soi-disant présence du Christ dans l'hostie !

A peine a-t-il dit ces mots qu'une petite voix d'enfant s'élève :

- Monsieur, il faut croire que Jésus est au Saint-Sacrement parce qu'Il l'a dit. Si vous ne le croyez pas, vous Le faites menteur !

Les deux interlocuteurs se retournent, surpris. Et contemplent ce petit bout de femme qui a investi le bureau paternel et qui, délaissant ses jeux tranquilles, n'a pas hésité à les interrompre. A cinq ans, Jeanne-Françoise connaît son catéchisme sur le bout des doigts. Serait-ce parce qu'elle est née en 1572, année des terribles massacres de la Saint-Barthélémy, elle éprouve une profonde aversion à l'égard des protestants, les hérétiques comme on les nomme à l'époque.

Le gentilhomme est amusé. Il veut apaiser la fillette et lui offre des bonbons pour la faire taire. Elle le défie et jette les bonbons dans le feu qui brûle dans l'âtre.

- Voilà, dit-elle, comment brûleront en enfer les hérétiques parce qu'ils ne croient pas ce que Notre-Seigneur a dit !

Bénigne est embarrassé. N'a-t-il pas trop gâté cette enfant ? Il l'aime tendrement, passe de longs moments avec elle comme si sa présence pouvait faire oublier l'absence de la maman qu'elle a perdue à l'âge de dix-huit mois. Il la renvoie à ses jeux, pensif. Sa sœur Marguerite qui s'occupe de la fratrie avec amour lui a déjà fait part de la foi immense dont déborde ce cœur d'enfant. Aussi la sortie de la petite Jeanne ne l'a-t-elle pas surpris outre mesure. Et son ton péremptoire montre qu'elle n'a pas froid aux yeux et qu'elle ne s'en laissera pas compter. Quel sera son avenir ?

Un moment distrait, il prie son interlocuteur d'excuser la petite fille même si, au fond, il se sent infiniment fier de constater à quel point l'enfant a bien profité de l'éducation religieuse à laquelle lui-même et sa sœur veillent avec tant de soin.

Les années suivantes, la même attention est apportée aux études de la petite Jeanne. Au-delà des leçons dispensées aux jeunes filles de qualité, lecture, écriture, danse, musique, chant, elle s'adonne à des études plus solides comme le calcul et l'histoire. Et celle de sa famille, si étroitement liée à l'histoire de l'Eglise, nourrit sa foi. Par sa mère, Marguerite de Berbisey, elle est apparentée aux Fontaine, ceux-là même dont fut issu, quatre siècles plus tôt, Saint Bernard de Clairvaux. Elle connaît bien la crypte de l'abbaye de Saint Bénigne, l'apôtre de la Bourgogne dont son père porte le prénom, où repose, auprès du saint, la Bienheureuse Dame Aleth, mère de Saint-Bernard. Elle sait tout de la vie de cette parente lointaine, sa simplicité, son amour des pauvres, sa charité sans limites, toutes vertus qu'elle admire et va reproduire sa vie durant.

Son amour des pauvres se manifeste déjà quand il s'agit de distribuer argent ou pain aux misérables qui se présentent sur le seuil des maisons comme c'est alors la coutume. Leur aspect, leur odeur qui font fuir les enfants de son âge ne la rebutent point. Un jour, un ami de la famille s'étonne de son attrait pour les malheureux et lui en fait part. Elle rétorque :

-  Si je n'aimais pas les pauvres, il me semble que je n'aimerais plus le Bon Dieu !

« Cette petite, dit-on, a réponse à tout. »

Adolescente, Jeanne qui a ajouté Françoise à son prénom au moment de sa Confimation, souffre toujours de l'absence de sa mère. Elle se confie à la Vierge Marie et la prie d'être désormais sa mère.

 Jeanne-Françoise Frémyot, jeune fille

 

Avec les années, elle devient une jeune fille au tempérament heureux, toujours gaie, d'une grande simplicité, clairvoyante aussi. Son jugement, même policé par son éducation, est très sûr. Et sa famille voit s'épanouir avec tendresse la cadette qui se révèle bientôt dans toute sa beauté. 

Mais ce nid familial où elle se plaît tant, Jeanne doit bientôt le quitter. Un concours de circonstances, tant familial que politique, va l'éloigner de Dijon pour un temps. L'aînée des Frémyot, Marguerite, est, à seize ans, en âge de se marier. Or le fils d'une famille amie fait sa demande et Bénigne agrée ainsi Jean-Jacques de Neufchèzes, baron des Francs. Ce dernier habite le Poitou où le ménage doit s'établir et il propose d'emmener sa jeune belle-sœur. Il sait en effet son futur beau-père très préoccupé par la situation politique et les menaces qu'il redoute pour les siens. En cette année 1587, les tensions se multiplient entre les catholiques, fédérés dans la Ligue que représentent les Guise, et les protestants qui voient le trône de France à leur portée. En effet Henri III, le dernier des Valois, n'a pas de descendance et son héritier est le futur Henri IV, de religion protestante. Bénigne, profondément royaliste, soutient les catholiques et craint un conflit en Bourgogne même. Pire, il sait déjà qu'il lui faudra prendre parti. Il encourage donc  le départ de ses filles qui seront plus à l'abri en Poitou, avec son gendre.

 Comme c'est dur de quitter sa famille, son père, son frère André ! Jeanne essuie ses larmes et se console à l'idée de découvrir des paysages qu'elle ne connaît pas. Hélas, les guerres de religion sont passées par là. Partout, des ruines, des églises profanées, tabernacles renversés, statues décapitées. La tristesse s'empare de la jeune fille mais elle ne se décourage pas. Elle connaît par cœur l'histoire de l'Eglise et ne doute pas que la mise en œuvre des décrets du récent Concile de Trente permette le renouveau de la foi catholique. Elle-même, par la prière, par ses actes de charité et d'amour pour les plus pauvres, y participe déjà. 

La ville de Poitiers apparaît, par contraste, très agréable. Ses églises sont debout, notamment Saint-Hilaire où elle aime se rendre et le monastère de Sainte-Croix, fondé par la reine moniale, Sainte Radegonde. C'est aussi une ville joyeuse et accueillante où les fêtes se multiplient et où elle accompagne sa sœur avec plaisir. Cette belle jeune fille, aimable et réservée, est très admirée. Elle brille par son intelligence, sa conversation spirituelle, aussi ne manque-t-elle pas bientôt de prétendants. Mais elle veut choisir son mari et son isolement, loin de sa famille, lui pèse. Bientôt les nouvelles alarmantes qu'elle reçoit de Bourgogne lors des rares courriers qui lui parviennent requièrent son attention et elle essaye de suivre les événements avec angoisse tout en priant avec ardeur pour les siens.

 A Dijon, pour mieux repousser le futur Henri IV, le Parlement a choisi de se révolter contre le roi Henri III. Bénigne doit choisir. Il opte pour la fidélité au roi, même si celui-ci favorise l'accès au trône à un huguenot, prétendant légitime à la couronne. Un choix lourd de conséquences : il doit quitter la ville. Sa maison est pillée, son fils, André, jeté en prison. Lui-même forme à Flavigny, où il s'est réfugié, un autre Parlement ce qui excite la fureur des Ligueurs de Dijon. Ceux-ci menacent de lui envoyer la tête de son fils dans un sac. Bénigne répond : 

- Mieux vaut que l'enfant meure innocent et que le père ne vive pas coupable.

 On n'ose pas tuer André et bientôt Henri III est assassiné. Bénigne prend sa décision : on prêtera serment à Henri IV sous condition qu'il se fasse catholique. 

A Poitiers, Jeanne-Françoise est confrontée à la religion huguenote mais de toute autre manière. Un seigneur huguenot, de belle prestance et de noble race est un ami des Francs et fréquente leur maison. Bientôt sous le charme de la jeune fille, il désire passionnément l'épouser et prétend abdiquer sa religion. Il feint d'être converti, pratique le catholicisme avec ostentation, bien décidé, une fois marié à retourner au protestantisme. Marguerite se fait son interprète auprès de sa sœur arguant que Jeanne, grâce à sa foi solide, fera merveille pour affermir celle de son mari.

 Mais Jeanne s'obstine dans un refus que sa famille ne comprend pas. Pourquoi refuser un aussi beau parti ? Qu'a-t-elle donc en tête ? Jeanne s'explique : 

- Je préférerais la prison perpétuelle au logis d'un huguenot, pour y vivre. Et souffrir mille fois la mort que de me lier, par le mariage, à un ennemi de l'Eglise.

 On lui objecte que le prétendant vient de se convertir. Jeanne persiste dans son refus. Dès que ce dernier apprend que sa demande est rejetée, il entre dans une violente colère et jure de continuer à être le protestant qu'il n'a jamais cessé d'être ! Stupéfaits, les De Francs reconnaissent leur erreur et demandent à Jeanne comment elle a compris la duperie dont elle était l'objet. Elle leur révèle combien elle est proche de la mère du Sauveur et combien elle a prié pour que le discernement lui soit donné : - Notre-Dame qui voit les âmes dans la lumière de Dieu perçait à jour la tromperie de cet hérétique et m'en donna secrètement avis en sorte que je le tenais pour tel malgré ses singeries de bon catholique. 

Un même refus est signifié à un autre prétendant qui se présente richissime et qui se révèle n'être qu'un escroc.

 A Dijon, les troubles se sont apaisés et Bénigne Frémyot souhaite maintenant retrouver sa fille cadette. Lui aussi se préoccupe de la marier et il pense à un jeune seigneur bourguignon, de belle apparence et bien apparenté. La jeune fille fait ses adieux à sa sœur et à son beau-frère et reprend, à petites journées, le chemin de sa région natale. 

La foi magnifique de Jeanne-Françoise nous éblouit. Même à l'âge de cinq ans, elle en témoigne avec conviction et maturité. Par la suite, sa confiance totale en Notre-Dame montre déjà que la future sainte vit en Dieu et Dieu en elle dans sa vie quotidienne banale de jeune fille bien élevée. Le don du discernement que lui accorde la Vierge Marie lui permet d'éviter les écueils que nul n'avait pu deviner. Elle est prête à aborder avec sagesse et confiance l'avenir que son père décide pour elle.

 Demandons-lui de fortifier notre foi, de nous aider à dire « oui » sans restriction à la volonté du Seigneur, sans hésitation, sans regrets. Avec l'aide de la Vierge Marie. 

Je vous salue, Marie…


Prière de la communauté

Je vous salue Marie

Je vous salue Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus le fruit de vos entrailles est béni. Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort. Amen.

Merci ! 235 personnes ont prié

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Que vos paroles soient toujours bienveillantes, qu’elles ne manquent pas de sel, vous saurez ainsi répondre à chacun comme il faut. Col 4 : 6

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