Satan ou le Diable, ce redoutable oublié

Version révisée et corrigée

 

Voir les références textuelles qui figurent dans les trois anthologies suivantes :

« Satan et le Diable dans les Ecritures (anthologie) »

« Satan dans l'Adversus Haereses d'Irénée de Lyon (anthologie) »

Satan, diable et démon, dans le Catéchisme de l'Eglise Catholique (anthologie) »

 

 

De nos jours, parler de Satan – encore appelé le Diable ou le Démon –, n’est pas de saison. Quiconque s’obstine à le faire par fidélité à l’Ecriture et à la Tradition, s’expose à la dérision, voire à la condamnation, de la part non seulement des incroyants, mais même  de nombreux chrétiens. Selon Irénée de Lyon (2ème siècle),

Justin a dit qu'avant la venue du Seigneur, Satan n'avait jamais osé blasphémer Dieu, parce qu'il ignorait encore sa condamnation: car c'est en paraboles et en allégories que les prophètes avaient parlé de lui. Mais depuis la venue du Seigneur, par les paroles du Christ et de ses apôtres, il sait de façon claire qu'un feu éternel a été préparé pour lui, qui s'est séparé de Dieu de son propre mouvement, et pour tous ceux qui, refusant de faire pénitence, auront persévéré dans l'apostasie. Aussi, par les hommes de cette sorte, blasphème-t-il le Seigneur qui doit faire venir le jugement, comme quelqu'un qui est déjà condamné, et impute-t-il son péché d'apostasie à son Créateur et non à sa libre décision, à la manière de ces transgresseurs des lois qui, venant à subir leur peine, incriminent le législateur au lieu de s'en prendre à eux-mêmes. De même aussi ces gens, remplis d'un esprit diabolique, profèrent d'innombrables accusations à l'adresse de Celui qui nous a faits, nous a donné l'Esprit de vie et a établi une loi appropriée à tous, et ils n'admettent pas que soit juste le jugement de Dieu: c'est pourquoi ils imaginent un autre Père, qui n'aurait ni souci ni soin de nos affaires, ou même approuverait tous les péchés.

On aura remarqué le lien qu’établit Justin (2ème siècle) entre Satan et « tous ceux qui, « refusent de se repentir ». Il va même jusqu’à affirmer que « c’est par des hommes de cette sorte, que [le Diable] blasphème le Seigneur », soulignant ainsi le lien mystérieux qui existe entre le monde d’en-haut et celui d’ici-bas, et entre ce qu’il appelle « l’apostasie » du Diable et celle des hommes qui refusent de se repentir.

Dans la même veine, Irénée insiste beaucoup, dans ses écrits, sur le péché d’apostasie, dont il impute l’origine au Démon, indiquant au passage le sens du terme: « le mot "Satan", en langue hébraïque, signifie "apostat" ». Pour mieux saisir en quoi consiste cette notion, il faut savoir que la racine verbale hébraïque STH signifie « se séparer », se « détourner » de, et, au sens métaphorique religieux, « répudier », « se révolter ». Au hiphil (causatif) il signifie « pousser à la désobéissance » à Dieu, voire à la révolte contre lui et ses commandements, comme l’atteste le passage biblique suivant qui relate l’ordre exprès donné par David, de recenser le peuple, malgré la mise en garde de Joab, le chef de son armée. 

Le roi dit à Joab et aux chefs de l'armée qui étaient avec lui: "Parcourez donc toutes les tribus d'Israël, de Dan à Bersabée, et faites le recensement du peuple afin que je sache le chiffre de la population." Joab répondit au roi: "Que Le Seigneur ton Dieu accroisse le peuple de cent fois autant, pendant que Monseigneur le roi peut le voir de ses yeux, mais pourquoi Monseigneur le roi aurait-il ce désir?" (2 S 24, 2-4 = 1 Ch 21, 1-4).

 

Si mystérieux que soit pour nous aujourd’hui le sens de cette interdiction de procéder au recensement du peuple, l’Ecriture attribue clairement à Satan l’origine de cette désobéissance du roi :

Satan se dressa contre Israël et il incita[1] David à dénombrer les Israélites. (1 Ch 21, 1).

La suite du récit atteste que la chose déplut au Seigneur :

Après cela le coeur de David lui battit d'avoir recensé le peuple et David dit au Seigneur: "C'est un grand péché que j'ai commis! Maintenant, Seigneur, veuille pardonner cette faute à ton serviteur, car j'ai commis une grande folie." (2 S 24, 10).

 

Il est temps de mettre au jour la véritable nature de Satan et de ses agissements. Nous sommes en mesure de le faire, grâce à ce qu’en a écrit Irénée qui, il faut le souligner, tient ces traditions des « presbytres, disciples des Apôtres » [2]. Pour faire bref, je me limite à reproduire ici ce passage important de son œuvre majeure, Adversus Haereses (Contre les hérésies)[3].

V, 24,3-4. […] Quant au diable, qui n'est qu'un ange apostat, il peut tout juste faire ce qu'il a fait au commencement, c'est-à-dire séduire et détourner l'esprit de l'homme, pour qu'il transgresse le commandement de Dieu, et aveugler peu à peu les coeurs de ceux qui l'écoutent, pour qu'ils oublient le vrai Dieu et l'adorent lui-même comme Dieu. C'est comme si un rebelle, après s'être emparé d'une contrée par un acte de brigandage, venait à semer le trouble parmi ses habitants et à usurper les honneurs royaux auprès de ceux qui ignoreraient qu'il n'est qu'un rebelle et un brigand. Tel est le diable. Il était l'un des anges préposés aux vents de l'atmosphère, ainsi que Paul l'a fait connaître dans son épître aux Éphésiens; Il se prit alors à envier l'homme et devint, par la même, apostat à l'égard de la loi de Dieu: car l'envie est étrangère à Dieu. Et comme son apostasie avait été mise au jour par le moyen de l'homme et que l'homme avait été la pierre de touche de ses dispositions intimes, il se dressa de plus en plus violemment contre l'homme, envieux qu'il était de la vie de celui-ci et résolu à l'enfermer sous sa puissance apostate. Mais l'Artisan de toutes choses, le Verbe de Dieu, après l'avoir vaincu par le moyen de l'homme et avoir démasqué son apostasie, le soumit à son tour à l'homme, en disant: « Voici que je vous donne le pouvoir de fouler aux pieds les serpents et les scorpions, ainsi que toute la puissance de l'ennemi.» De la sorte, comme il avait dominé sur les hommes par le moyen de l’apostasie, son apostasie était à son tour réduite à néant par le moyen de l'homme revenant à Dieu.

 

Au travers de ce texte, et de bien d’autres qu’il n’est pas possible de citer ici, nous pouvons entrer davantage dans le mystère du Salut et, plus précisément, dans celui de ce que j’ai défini, plus haut, comme le « lien mystérieux qui existe entre le monde d’en-haut et celui d’ici-bas, et entre ce que [Justin] appelle "l’apostasie" du Diable et celle des hommes qui refusent de se repentir »[4].

Ainsi prend tout son sens, la phrase d’Irénée, qui passe généralement inaperçue, affirmant que la révolte (litt. l’apostasie) du Diable « est réduite à néant par le moyen de l'homme revenant à Dieu.

Nous comprenons mieux le combat titanesque – qui dure encore – entre Dieu et ses Anges et Satan et les siens, que trop de commentateurs chrétiens, considèrent audacieusement comme « mythique » et ressortissant à une phraséologie et à des concepts qui n’ont plus cours et sont sans importance pour le salut et la vie intérieure des fidèles du Christ.

De la sorte, ils font fi de l’exclamation prophétique et révélatrice de Jésus :

 

"Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme le froment; mais moi j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères." (Lc 22, 31).

 

Plaise à Dieu que soit rétablie la récitation de la prière que le pape Léon XIII avait instituée, et que le célébrant devait réciter à la fin de la messe :

 

Saint Michel Archange,

Défends-nous dans le combat, sois notre secours contre la Malice et les embûches du démon,

Nous le demandons en suppliant : que Dieu lui impose son pouvoir ;

et toi, Prince de la milice céleste, par la Puissance divine, repousse en enfer Satan et les autres esprits mauvais qui rôdent dans le monde pour la perte des âmes[5].


Ajoutons que tout fidèle soucieux de fonder sur l’Ecriture sa méditation de ces mystères, aurait avantage à relire fréquemment, voire chaque jour la magnifique exhortation suivante de S. Paul :

Revêtez l'armure de Dieu, pour pouvoir résister aux manoeuvres du diable. Car notre combat n'est pas contre des adversaires de sang et de chair, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde  de ténèbres, contre les esprits du mal qui habitent les hauteurs célestes. C'est pour cela qu'il vous faut endosser l'armure de Dieu, afin qu'au jour mauvais vous puissiez résister et, après avoir tout mis en oeuvre, rester fermes. Tenez-vous donc debout, avec la Vérité pour ceinture, la Justice pour cuirasse, et pour chaussures le zèle à propager la Bonne Nouvelle de la paix; ayez toujours en main le bouclier de la Foi, grâce auquel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du Mauvais; enfin recevez le casque du Salut et le glaive de l'Esprit, c'est-à-dire la Parole de Dieu. Vivez dans la prière et les supplications; priez en tout temps, dans l'Esprit; apportez-y une vigilance inlassable et intercédez pour tous les saints. (Ep 6, 11-18).

 

 

© Menahem R. Macina

Mis en ligne sur le site Academia.edu, le 5 décembre 2017

Mise à jour le 8 décembre 2017.

[1] Hébreu lit : wayaset, de la racine STH (au piel). En hébreu moderne, ce verbe et son substantif connotent l’incitation à la révolte.

[2] Je me permets de référer à mon étude intitulée « Le rôle des presbytres dans la transmission de la Tradition chez Irénée de Lyon » (http://www.rivtsion.org/f/index.php?sujet_id=1319).

[3] rénée de Lyon, Contre les Hérésies. Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, traduction française par Adelin Rousseau, éditions du Cerf, Paris, 1984.

[4] La notion d’apostasie, déjà présente dans le 1er Livre des Maccabées (1 M 2, 15), figure également dans un passage de S. Paul, où elle a une connotation nettement eschatologique : « Que personne ne vous abuse d'aucune manière. Auparavant doit venir l'apostasie et se révéler l'Homme impie, l'Etre perdu, l'Adversaire, celui qui s'élève au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu'à s'asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant lui-même comme Dieu. (2 Th 2, 3-4).

[5] Cf. 1 P 5, 8 : « Jeunez, veillez. Votre adversaire, le Diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer. »

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"Hosanna! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur! Béni soit le Royaume qui vient, de notre père David! Hosanna au plus haut des cieux!" (Mc 11, 9-10).

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